Après tant de grands films sur le Vietnam (Platoon, Apocalypse Now, Full Metal Jacket qui étaient déjà des chef d'oeuvres cultes), avec ce titre "Voyage au bout de l'Enfer", on s'attend à du sang, de l'explosion, de la violence à la Rambo puissance 10 ! Si vous pensez que ce sera sans doute le Il faut sauver le soldat ryan du Vietnam, vous vous trompez complètement ! Ce film est bien sur un film sur la guerre, mais attention pas un film DE guerre, et bien sur le titre anglais confirme bien cet anomalie du titre français, le titre original est "the deer hunter" le chasseur de daims, donc rien à voir !
J'ai vu beaucoup de bons films, beaucoup de très bons films, et même pas mal de chef d'oeuvres, mais celui- là je le considère comme un film tout simplement hors normes, largement au dessus des autres films sur le Vietnam et la guerre en général (malgré d'excellents films) avec le recul. La première vision est incroyable, un film choc qui vous marque durablement, et qui a bien vieilli (bizarrement ?!), 30 ans plus tard, la pellicule de Michael Cimino frappe toujours aussi durement que les premières fois et possède encore cette aura incroyable qu'ont les très très grand films.
A 30 ans à peine Michael Cimino "le réalisateur maudit" comme on aime bien l'appeler, déjà connu pour le succès remarqué du "Canardeur" avec Eastwood, bouscule le tout- Hollywood avec ce film d'anthologie. Déjà très pointu alors qu'il était novice au cinéma, Cimino donne un grand coup dans la fourmilière car lorsqu'il met en place le projet on est en 1977 la guerre s'est finie quelques années auparavant et le traumatisme de cette guerre est encore très proche. Donc Voyage au bout de l'enfer est le premier grand film à traiter de la guerre du Vietnam, et surtout de l'après- Vietnam.
Cimino qui est allé voir les producteurs avec déjà toutes les idées en tête leur a expliqué le film en 2 heures, et se sont mis d'accord pour prendre De Niro qui a beaucoup contribué au film, et "pêché" des acteurs inconnus à l'époque, Christopher Walken et Meryl Streep (et on connait leur carrière après...). Je sais tout a déjà été dit sur ce film, mais il "respire" le chef d'oeuvre absolu à chaque plan, chaque réplique, chaque note de musique, rien que le générique du début avec l'extraordinaire musique de Stanley Myers "Cavatina" nous donne envie de lâcher une larme. Rien n'a été laissé au hasard et Cimino l'a conçu comme une oeuvre ultra ambitieuse, une symphonie cinématographique titanesque de 3 heures dont on en ressort secoué, d'ailleurs le travail de Cimino et des acteurs ont été d'un investissement total c'est pour cela que le film a un côté "vrai et authentique" puisque un mariage orthodoxe s'est réellement passé (oui oui !), les acteurs ont demandé de vraiment se faire gifler et maltraité par les acteurs vietcongs, les cascades ont été réalisés par les vrais acteurs (le saut de l'hélicoptère), pas de trucages pour Cimino qui voulait saisir la réelle détresse des acteurs (Savage n'avait pas été prévenu qu'il y avait des rats lorsqu'il est enfermé dans la cage, les acteurs ne s'étaient pas lavés pendant un mois avant de jouer au Vietnam) avec un tournage interminable en Thailande.
Les studios avaient misé gros, eh ben ce fut le jackpot ! Succès public et critique (5 oscars bien mérités !), Voyage est au bout de l'enfer est une oeuvre dense, riche, mais surtout parfaite :
- interprétation parfaite de tous les acteurs (oui tous, c'est rare !), De Niro signe une performance magistrale et est totalement habité par son rôle de Mike, il est incroyablement charismatique. Les seconds rôles tiennent la dragée haute à De Niro : Walken crève l'écran pour son premier rôle de personnage fragile et torturé, son interprétation tient du génie et éclipse presque De Niro, leur duel de regard à la fin du film est extraordinaire, son regard d'acier lui a valu l'oscar du meilleur second rôle ! Meryl Streep et John Savage signent tous deux des performances géniales surtout Savage au Vietnam qui est absolument poignant, John Cazale et George Dzundza sont aussi épatants. Le casting livre des performances à tirer un immense coup de chapeau !
- la musique très peu présente mais génialissime de Stanley Myers qui donne un supplément de frisson et d'âme au film.
- le montage est excellent, surtout la scène de transition entre l’Amérique tranquille et le Vietnam par la partition au piano que tout le monde écoute attentivement nous prépare à "l'enfer absolu" du Vietnam.
- la photographie est parfaite : les grandes montagnes de Pennsylvanie et les séances de chasse sont éblouissants, le Vietnam, Saigon, ou encore l'usine de Sidérurgie sont de grands moments de cinéma.
- la réalisation subtile mais impressionnante de Cimino qui filme tel un opéra son film : 3 heures, 3 parties découpés, l'avant, le pendant, et l'après- Vietnam. La première heure nous fait pénétrer dans les années 70 et une communauté filmé avec innocence et légèreté par Cimino, puis la période Vietnam dure seulement 40 minutes, mais quels 40 minutes ! On est frappé par la dureté de la guerre, réaliste à souhait (pas de musique, juste des pleurs, des tirs ou des cris), mais aussi par l'insoutenable scène ultra- célèbre de la roulette russe qui a une place majestueuse dans le film (De Niro, Savage, et Walken sont désespérés, leurs interprétations à ce moment- là sont les sommets du film, et De Niro craque complètement dans cette scène si poignante et choquante par sa violence psychologique), la partie la plus intéressante reste l'après- Vietnam, entre un De Niro qui rentre vivant, un Walken devenu fou, et un Savage meurtri. Par une caméra vivante, à la fois brouillon et très posée, nous offre des scènes cultes plus vite les unes que les autres (le mariage, les roulettes russes, la scène du piano, la scène du I love you baby, la scène du lance- flammes, le God Bless America, les parties de chasse, le retour au pays dépressif de Michael), et surtout nous fait réagir sur ce conflit qui a détruit une communauté et frappé l'Amérique par ces blessés qui reviennent tous "traumatisés" par le Vietnam. Comment reprendre une vie lorsqu'on a connu l'enfer sur terre ou perdu un des ses proches, comment retrouver le goût de la vie lorsqu'on prend conscience que cette guerre n'a servi à rien ?
Cimino est en état de grâce sur ce chef d'oeuvre ultime de la guerre en général, profondément pessimiste et marquant, ce genre de films que l'on regarde une fois qu'on n'oublie jamais, et qui nous émeut vraiment. Une fresque épique et tragique comme on en voit trop peu aujourd'hui, portée par des acteurs incroyables, dommage que Cimino n'ait plus retrouvée "la flamme" de ce film sur les autres. Inoubliable et incontournable, même si vous ne l'aimez pas, il ne vous laissera pas indifférent !
Sans doute le plus grand film des années 70 et peut- être du "nouvel hollywood" pour moi, c'est pour ce genre de films que LE cinéma a été créé. En un mot : exceptionnel.