As Bestas est un thriller rural particulièrement angoissant. On voit bien que cette querelle de voisinage sur fond de xénophobie, de sentiment de mépris de classe, ne peut pas bien se finir. Les flics ont beau dire qu'il suffit d'aller boire un verre avec ses voisins pour que tout puisse s'arranger, on constate bien que ça n'est pas vrai, que tout ça va dégénérer.
On le sent parce que Sorogoyen sait poser une atmosphère lourde et pesante, il étire les séquences afin de faire monter l'inquiétude et le sentiment de danger. C'est la force du film, réussir à montrer Denis Ménochet taillé comme un buffle se faire tout petit devant ses voisins qui lui font la misère, espérant que ça va leur passer ou leur faire entendre raison.
Parce que cette histoire a un fond social plutôt bien trouvé. On a des bobos français qui débarquent dans un village paumé dans les montagnes espagnoles et qui ont comme projet de faire revivre ce village en retapant les vieilles maisons pour que les gens puissent venir s'y installer. Or ce village, ceux qui y vivent depuis longtemps ils ne le voient pas avec des yeux de bourgeois, ils voient la misère, le fait qu'il n'y ait pas de gosses, pas de femmes, qu'ils sont cinquantenaires et célibataires. La confrontation de ces deux mondes ne pouvait pas bien se passer, surtout qu'elle est exacerbée par la proposition d'une compagnie de racheter les terrains pour mettre des éoliennes à la place et que c'est l'opportunité pour ceux qui n'ont jamais connu la ville d'enfin quitter ce bled paumé, là où les bobos ont bien l'intention de rester là.
Il n'y a pas de manichéisme, les deux points de vue s'entendent mais sont irréconciliables. Le drame c'est que, lorsqu'enfin ils se parlent, c'est trop tard, ils sont déjà allés trop loin pour résoudre ça en bonne intelligence, pour écouter des arguments... et rien que le fait d'avoir des arguments est vu comme une forme de mépris.
Ceux qui sont vus comme les antagonistes du film, aussi odieux puissent-ils être ne sont pas, comme ça peut être le cas dans d'autres films, de simples sauvages, bêtes et assoiffés de sang et ceci malgré leurs manières un peu rustres.
Après ça ne change pas que chacune de leurs apparitions sont faites pour être flippantes, pour faire naître l'angoisse, surtout Loren, le personnage joué par Diego Anido dont on sent bien qu'il a un problème et qu'il est pas net. Il fait simplet, mais le genre de simplet qui peut déraper bien vite.
D'ailleurs, on comprend pourquoi un grand gaillard comme Ménochet peut avoir peur de ces types là, qu'il devrait pouvoir brouiller d'une seule main (et dont on supplie tout le film qu'il le fasse). On sait qu'ils sont capables de mater des chevaux sauvages à main nues... Alors Ménochet, tout steak qu'il puisse être, ne fait bien évidemment pas le poids. Notons la reprise de ce plan, zoomant lentement sur la bouche du cheval lors d'une scène clé du film.
Sorogoyen a également eu la bonne idée de séparer son récit en deux, une partie plus sur Ménochet, une autre plus sur Foïs (qui était vraiment en retrait au début du film) et paradoxalement autant Ménochet semblait toujours énervé ou flippé, il se dégage une sérénité de Foïs... Elle gère et elle gère très bien. Finalement c'est avec son personnage qu'on développe le plus d'empathie, elle est ferme, déterminée et vraiment touchante.
En résulte un beau film...