La guerre est un terrain de jeu pour certains, pour d’autres ce n’est qu’une dure réalité dont la seule échappatoire est la survie. Il n’y a que nos mains et nos jambes, puis celles de nos partenaires pour nous aider à surmonter les obstacles. La loi du plus fort n’a pas le moindre sens dans un contexte trouble et viscéral qu’est la guerre du Vietnam. D’autres œuvres ont déjà abordé l’expérience sur un terrain sans pitié, comme « Voyage au bout de l’Enfer » et « Apocalypse Now ». Mais ce qu’Oliver Stone fait ici est plus autobiographique et bien plus choquant en matière d’authenticité. Une guerre se gagne par des hommes, mais l’esprit lui mène son propre combat moral. Ce que l’œuvre tend à souligner, c’est la dureté et la souffrance des hommes qui ont vécu le drame, qu’ils aient pu revenir du front ou non.
Nous mettons en avant un cadet, une jeune recrue, viande fraîche pour le broyeur et Chris Taylor (Charlie Sheen) répond à cette fine description. On généralise un peu, mais cela n’empêche pas une réduction à l’état d’individu. La guerre n’est plus d’ordre politique ni d’ordre religieux, elle incarne le parfait débat idéologique entre la violence et son compromis. Pour cela, Chris essaye de trouver sa voie, tout en gardant un œil sur deux références que tout oppose. En premier lieu, nous avons le sergent Elias (Willem Dafoe), homme droit en vertu de sa noblesse sur le terrain. Soucieux de ses hommes et de leur bien-être, il apparait comme la figure paternelle que chacun puise pour se cacher derrière. En face, la puissante et redoutable machine à tuer, le sergent Bob Barnes (Tom Berenger) incarne la cruauté dans tout le carnage qu’il sème derrière lui.
Ces deux-là divergent d’abord par leur approche du conflit. L’un insiste sur l’humanité qui lui reste encore et l’autre l’a abandonné au détriment d’un fort instinct de survie. Il est évident qu’Elias semble le plus proche de l’archétype dont nous devrions nous identifier, or il s’agit précisément de cette part humaine qui lui fait défaut. Barnes, lui comprend l’absurdité d’un conflit qui perd tout son sens. Alors même qu’il se rapproche le plus de la figure patriotique, il n’est plus question d’un affrontement entre états. Il n’y a plus que des hommes isolés dans leur propre tourment, où la réalité les rattrape aussitôt qu’ils ont le dos tourné…
Le film prend un malin plaisir à dénoncer des crimes de guerre, à l’image de soldats qui semblent uniquement alimenter par la terreur et la peur. Chris le vit et quittera ces terres avec une révélation qui ne manque pas de faire le parallèle avec son arrivée. Il en sort changer, mais la barbarie dont il a vécu l’expérience n’effaceront pas son passage dans la boue, son passage entre les cadavres et le désespoir de voir l’humanité se lever pour réveiller ces hommes qui se chamaillent pour un bien. Des débordements font irruption et le caractère psychopathe de certains reflète bien là toute la régression de l’homme et de sa nouvelle créativité qu’il assume pleinement, celle du meurtre et de la violence sans visage.
« Platoon » réduit ainsi le fossé entre la réalité et la fiction. Réaliste dans l’esthétique et le cœur, le film remplit son contrat et installe des antihéros comme miroir de la société, soit passive soit agressive. Ni l’un ni l’autre ne se justifie sans faute et on l’apprend par le biais des différents protagonistes, tombés et disparus dans l’oubli de la guerre. La brutalité est une démonstration que le réalisateur met à nue et dont il décortique les nuances. Le bien et le mal ne feront jamais la paire et dans ce contexte, ils ne s’équilibreront jamais non plus. L’un dominera l’autre à tour de rôle, jusqu’à ce que le cycle se referme sur la mort et que la mort se referme sur l’apocalypse.