Après des débuts un peu laborieux, faute de moyens notamment, dans le domaine de la série B horrifique, Oliver Stone trouve enfin sa voie avec l’essai transformé que fût Salvador. Mais la carrière du cinéaste s’enclenche vraiment lorsqu’il mît en scène Platoon, en 1986, inspiré, on s’en doute, de son passage sur le front au Vietnam à la fin des années 60. Après maintes recherches, Stone, déjà auteur du script du Scarface de De Palma, trouve en Arnold Kopelson, le producteur qui voudra bien financer sa vision du conflit vietnamien, la guerre de la honte. Oliver Stone y va donc de toute son expérience, offrant une vision sinistre de la guerre, l’anti-Hollywood en somme. La première victime de la guerre est l’innocence, clame le cinéaste. Un propos aisément appuyé par la noirceur du cadre ou n’évolue ni héros ni lâche, juste des hommes confrontés à eux-mêmes, perdus dans le bourbier tropical d’un conflit qui ne rime finalement à rien. Lâchés dans la nature, face à un ennemi souvent invisible, un ennemi évoluant dans son environnement, cette représentation masculine de l’Amérique des années 60 dépérit, survit ou perd tout simplement la raison.
Oliver Stone choisit l’introduction d’un jeunot dans une section d’infanterie comme point de départ à son œuvre. Perdu, perdant vite ses illusions, le jeune Chris Taylor découvre, hagard, l’enfer de la jungle et du combat. Mais conscient qu’il faille plus que cela pour faire un film de guerre qui diffère du tout-venant hollywoodien, le cinéaste amène la dissension au sein de la troupe, divisant le groupe en file indienne derrière deux sergents aux tempérament et motivations radicalement opposées. Forcés d’évoluer ensemble face à l’ennemi, les hommes se déchireront entre idéalisme et brutalité, entre humanité et efficacité guerrière. Deux sergents, Barnes, qui croit en sa guerre, qui assassine impunément au nom de l’Amérique, et Elias, guerrier philosophe, adepte de la fumette et de la cause humaniste, verront leurs chemins diverger jusqu’à l’avènement d’un drame auquel personne n’est indifférent. Choisir son camp sert-il à quelque chose? Gagner cette guerre sert-il à quelque chose? L’important n’est-il pas simplement d’y survivre?
Voici l’anti-héroïsme à la sauce Oliver Stone, cinéaste qui n’aura que rarement aussi bien disséquer les rapports humains. Outre Tom Berenger et Willem Dafoe, tous deux excellents, la présence de Charlie Sheen, dont voici le rôle de sa vie, résonne comme un clin d’œil au chef d’œuvre que fût Apocalypse Now, dix ans plus tôt, là où le père Sheen, Martin, livrait un véritable morceau de bravoure. On retrouve aussi, dans cette jungle cramée, les minois de quelques acteurs de demain, Forest Withaker, Kevin Dillon ou encore Johnny Depp. Le casting est solide, diablement solide, et la variété intelligente de personnages amène de multiples réflexions sur le rôle de chacun dans cette mascarade de violence armée. Souffrance physique et mentale, aliénation, perte de repères, tout y passe, Stone ne laissant que peu de réconfort à ses personnages, réellement malmenés par l’enfer de la jungle, sans compter sur le Viet Kong et le pire des ennemis, soi-même.
En dépit de toutes ses qualités, faisant de Platoon un indiscutable chef d’œuvre dans son genre, accessoirement premier volet d’une trilogie que le cinéaste vouera à la guerre du Vietnam, le film manque cruellement de moyens. Dès lors, bon nombre de fusillades se verront amputées de leur essence même, dans une tentative de maquillage sonore pas toujours gracieuse. Les armes sont ici factices, les sons ayant été rajoutés en post-production, et cela se ressent, se voit. Le tout est bien sûre contrebalancé par des décors naturels sublimes, des acteurs géniaux en costumes à l’authenticité indiscutable et par un scénario en béton-armé, sans compter sur une bande-son exceptionnelle. Ajoutons à cela un final de toute beauté, d’une noirceur infinie. Décidément, malgré ses défauts de mise en scène, des défauts qui font peut-être le charme de Platoon, voici un indispensable long-métrage, non seulement dans la carrière d’Oliver Stone, mais aussi parce qu’il est le témoin d’un pan de l’histoire américaine des plus sinistres. 18/20