Ce qui fait des 7 samouraïs un classique du cinéma, c’est son scénario original co-écrit par Akira Kurosawa, Shinobu Hashimoto et Hideo Oguni qui donnera lieu 5 ans plus tard à une reprise américaine célèbre de Jon Sturges : les sept mercenaires (et une troisième de Antoine Fuqua en 2016)
Après la seconde guerre mondiale, les forces d’occupation américaines interdisent les jidai-geki, films d’époque mettant le plus souvent en scène des samouraïs, l’évocation de ce passé guerrier et glorieux pouvant encourager des velléités de résistance. Kurosawa avait déjà fait l’expérience de cette censure avec son film tourné en 1945 « Les Hommes qui marchèrent sur la queue du tigre« qui n’obtint son visa d’exploration qu’en 1952. « Rashomon » tourné en 1950 sera ainsi le premier film de Kurosawa de ce type sorti en salle avant la fin de l’occupation américaine en avril 1952.
En 1954, la situation est donc différente et Kurosawa se lance dans ce projet.
L’intérêt de ce scénario a été de créer une situation historiquement improbable oú des samouraïs sont engagés par des paysans pour les protéger d’une bande de bandits. D’ailleurs il ne s’agit pas, en réalité, de samouraïs mais de ronins, samouraïs n’ont attaché à un maître. Leur position sociale est bien moins enviable. Ainsi, il devient possible de faire engager ces guerriers par des paysans.
Ce scénario ouvre de nombreuses possibilités et ramifications en mettant en lien 2 castes que tout semble séparer. Ignorantes l’une de l’autre, méfiantes l’une envers l’autre, elles coexistent sans autre interaction que lors de conflits. Mais Kurosawa dessine un lien ténu entre elles. Paysans et guerriers ne sont-ils pas l’essence du Japon ? Ne partagent-ils pas la même force : « Tomber 7 fois et se relever 8 fois » proverbe qui symbolise la persévérance face aux vicissitudes de l'existence. Exprimé par le bushido pour les samouraïs, un code de conduite morale qui n’exclue pas le recours à la ruse et la traitrise. (Comme le montre la scène du voleur retranché dans la case). Du côté des paysans, nul code, mais la nécessité vitale de s’adapter pour survivre et la résilience (ainsi sera exprimé la condition paysanne dès le début du film). Oui, le paysan ment, est peureux, se tait, courbe l’échine et n’hésite pas à détrousser les samouraïs blessés qui chercheraient refuge dans le village. Mais ne s’agit-il pas aussi ici de ruses et de traîtrises nécessaires ? Ne cherche-t-il pas lui aussi à se relever ? L’un serait-il honorable et l’autre pas ? C’est bien ici le sujet remarquable du film. Au contact l’une de l’autre, la frontière entre ces deux castes tend à devenir moins perméable, même si elles restent chacune sur 2 voies irrémédiablement séparées.
Le véritable coup de génie, c’est d’avoir intégré le personnage de Kikushiyo qui renforce symboliquement le lien entre ces 2 castes. Pas samouraïs et plus paysans, il est habité par la colère. Critique de la faiblesse, de la lâcheté et de l’hypocrisie des paysans, il n’en est pas moins critique de l’arrogance et de l’égocentrisme des samouraïs, car, dit-il, ce sont les samouraïs et leurs guerres qui ont façonné le paysan tel qu’il est. Qu’aurait-il pu faire d’autre, interroge-t-il ?
Un scénario complexe sous une apparente simplicité qui n’a pas manqué d’interpeller John Sturges dans les 7 mercenaires.