Amitiés, trahisons, perfidies… déviances même ! Carlo Vogele n’oublie rien du catalogue des passions humaines cher à la mythologie grecque. Il va lui ajouter une étonnante et émouvante histoire d’amitié entre Icare et Astérion, le Minotaure.
Car le célèbre monstre, à corps d’homme et tête de taureau, n’est pas ici la Bête sanguinaire à laquelle on s’attend. Le cinéaste en fait un être doux, sensible et affectueux. Il a besoin de l’amour de sa mère, il a besoin d’un ami : ce sera le jeune Icare. Condamné à la solitude, une fois adulte, au fond du labyrinthe conçu par Dédale, on l’imagine volontiers mélancolique, à repenser à la tendresse de sa mère, aux jeux avec son ami.
Question bestialité, il faut plutôt aller chercher du côté de Minos, le roi de Crête. Une brute, ivre de honte et peut-être aussi de jalousie (c’est son épouse, Pasiphaé, ensorcelée par Poséidon, qui s’est unie à un taureau pour donner naissance au Minotaure). Envahi par son désir de vengeance, il se montre sadique avec Astérion et, dans ses premières années, l’humilie régulièrement. Le labyrinthe dans lequel est emprisonné Minos est mental, il est fait de colère et de pulsions. Son caractère violent, bestial même, est sans cesse rappelé par l’étrange couronne qu’il porte presque tout le temps : une couronne en forme de cornes. Dans le film, le monstre, c’est lui.
Or donc, Icare et Astérion, jeunes, deviennent amis. Un élément – un accessoire dirait-on s’il s’agissait d’un film avec des acteurs – joue un rôle important dans cette relation et a attiré mon attention : ce sont les cornes du Minotaure.
Sont-elles vraiment des cornes d’ailleurs ? On dirait bien plutôt des antennes ! Celles-ci s’illuminent au contact de Pasiphaé ou d’Icare. Elles semblent permettre à Astérion de communiquer par télépathie, lui évitant d’avoir à ouvrir la gueule – ce qui le fait ressembler bien plus à une sauterelle, j’ai trouvé, qu’à un Minotaure jeune. Il n’y a finalement que Minos pour trouver à ces cornes une symbolique sexuelle bien trop visible, lui qui prend plaisir à les couper (à les castrer devrait-on dire). Mais même coupées, les cornes restent un moyen de communiquer avec Icare, lui servant de guide dans la nuit crétoise ou de lumière lorsqu’il essaie de pénétrer dans le labyrinthe.
Il y a donc un véritable détournement de la part du cinéaste, qui fait de cet attribut habituellement menaçant un motif graphique récurrent et original, changeant la perception que l’on a du Minotaure. Ces cornes-antennes servent de médium – de fil d’Ariane (!) – entre Astérion et les autres, entre Astérion et le monde. Elles sont aussi le phare guidant son ami Icare dans son désir de s’émanciper de l’influence de son père. Surtout, elles font de l’animalité du Minotaure quelque chose qui a plus à voir avec le monde des insectes que des bêtes à cornes.