Si la Guerre Froide et le mur de Berlin installaient l’Italie des années 70 entre deux feux, la nation devait également gérer les crises qui se propageaient sur son territoire, qui a perdu toute innocence et toute l’illusion de sa jeunesse. C’est donc dans ce contexte, plein de tensions, qu’Emanuele Crialese (Once We Were Strangers, Respiro, Golden Door, Terraferma) aborde son cinquième long-métrage, sorte de reconstitutions de souvenirs, au lieu d’un récit qui se laisse guider par une trajectoire plus convenue. On y retrouve autant de limites que de force au sommet de cette forteresse de solitude. La famille italienne idéalisée encaisse mal les coups qu’elle se donne, quand bien même on y décortique tous les archétypes possibles.
Rendre ce récit accessible, universel et surtout personnel semble tenir à cœur au cinéaste, qui vient alors ponctuer son œuvre de projections fantasmées, où les personnages se libèrent soudainement de leurs contraintes, allant même jusqu’à traverser leur téléviseur pour se mettre en scène. Crialese ne manque pas d’idées à ce sujet, mais le procédé s’avère assez répétitif dans la seconde moitié du film. C’est donc en amont de toutes les implosions simultanées que l’on se met au diapason, la tête tournée vers des astres du ciel, un corps religieux ou encore une mère en défaut de maturité. C’est ainsi que nous découvrons Adri (Luana Giuliani), un garçon manqué, qui devra faire face à la féminité qu’on lui impose au foyer, en opposition avec son avatar masculin une fois un champ de roseaux franchi. En bravant l’interdit, dès les premières séquences, on comprendra instantanément que la réflexion est loin d’être identitaire pour le cinéaste. Ce dernier multiplie les allers-retours des enfants afin qu’on les observe en train d’essayer et de comprendre les enjeux que les adultes préfèrent garder sur leur terrain de jeu sentimental.
Il existe un père (Vincenzo Amato) que l'on n'embrasse pas ou que l'on ne reconnaît pas comme tel et la réaction est identique du côté de son enfant, révolté par le rejet de cette paternité ou de son genre. Chacun dans ce récit souhaite qu'on l'estime à sa juste valeur en tant qu'homme de la maison ou en tant que belle femme. Cependant, ce constat met le doigt sur toute l’artificialité de la requête. Les familles ont un ego à défendre et entrent inconsciemment en compétition avec ses voisins directs, que l’on identifie au préalable par la classe sociale et financière. Le quartier mute peu à peu sans que l’on ne voit les véritables conséquences des inégalités. On aura beau incendier un appartement par mégarde, cela n’est pas irréversible, tandis que rien ne peut sauver les habitudes nomades d’un peuple qui cherche encore une raison d’exister en société. Adri et sa fratrie sont confrontés à cette réalité, ils en sont conscience et ne prennent donc aucun détour pour faire savoir leur mécontentement.
Il faut alors reconnaître un certain charme à « L’Immensità », dont on cherche à deviner les contours, à tâtons, telle une partie de colin-maillard. Un regard simple et désenchanté trahit cette oasis que chaque protagoniste cherche en vain à entretenir, mais au bout de compte, le peu d’affection suffit à maintenir la flamme d’une famille éveillée. Celle balade convainc sans peine dans sa trajectoire mémorielle, là où le sensationnel peut passer à la trappe. Mais il est important de constater la présence d’une Penélope Cruz, qui brille autant dans sa langue maternelle, en anglais ou encore en italien. La féminité et le machisme sont tous deux soumis aux mêmes joutes, à l’image de tous les masques que l’on se sent obligé de porter, par convention sociale ou par crainte de ne pas appartenir à un tout. Sa démonstration constitue alors la plus grande réussite des différentes chroniques rencontrées.