« L’ami américain » est un incontournable de tout cinéphile qui se respecte au même titre que les deux autres films les plus célèbres de Wim Wenders, « Paris Texas » et « Les ailes du désir ». Pourtant au sortir de la salle le film laisse une impression de déjà-vu, celle d’un citoyen ordinaire qui se retrouve pris dans un engrenage infernal qu’il ne maitrise pas et qui se caractérise ici par l’affrontement violent de deux bandes criminelles qui passent leur temps à se poursuivre de New-York à Hambourg en passant par Paris et Munich. Si la première partie du film durant laquelle Wenders plante le décor de son long-métrage en introduisant les principaux protagonistes et en décortiquant les rapports de force qui vont ensuite s’établir entre eux, la surenchère de violence qui domine la seconde moitié du film ternit l’ensemble.
Le film s’inscrit toutefois très bien dans l’univers de Wenders, qui fait souvent la place belle aux laissés-pour-compte de la société en s’appuyant sur des décors urbains loin de l’image d’Epinal des villes où il tourne. Le Hambourg qu’il dépeint est celui de quelques quartiers crasseux en amont de la zone portuaire faits de petites rues aux chaussées défoncées, de terrains vagues et d’immeubles promis à démolition comme celui où Jonathan Zimmermann habite avec sa femme et son fils. Son New-York est celui d’Upper West Side, quartier qui ne s’était pas encore embourgeoisé à la fin des années 1970 et que Wenders décrit comme une succession de lofts abandonnés devenus le repaire des bandes criminelles.
Outre des décors minutieusement choisis, Wenders réussit à rendre l’atmosphère de « L’ami américain » particulièrement froide à travers cette lumière grise d’hiver qui inonde la plupart des scènes d’extérieur. Les quelques séquences tournées à Paris ne sont pas sans rappeler le « Dernier tango » de Bertolucci : même station de métro (Passy), même ambiance hivernale, même alternance d’ombres et de lumière. Seul éclat de gaieté au milieu de cet océan de morosité : la couleur orange de la Coccinelle de Jonathan Zimmermann.
Wim Wenders soigne également sa mise en scène comme en témoigne la séquence de la traque par Jonathan Zimmermann de sa première victime dans le métro parisien. Une séquence de dix minutes, pleine de tension, sans aucun dialogue, certainement la plus remarquable du film et qui s’achève par la fuite du meurtrier vue à travers les caméras de surveillance de la RATP.
L’interprétation des acteurs, quant à elle, reste inégale. Malgré une certaine transformation physique, Dennis Hopper fait du Dennis Hopper, une fois de plus cantonné à un rôle de personnage décalé qui cultive une certaine part de mystère et de volatilité. En revanche, Bruno Ganz campe admirablement Jonathan Zimmermann, cet homme facilement influençable, soudainement attiré par l’appât du gain à court terme et prêt à endosser le costume de mercenaire pour le compte d’individus qui exploitent inlassablement ses faiblesses. Parmi les seconds rôles, on notera l’interprétation de plusieurs réalisateurs dont Gerard Blain, Jean Eustache, Nicholas Ray ou encore Samuel Fuller et son éternel cigare, mais surtout la performance de Liza Kreuzer, qui tient le rôle de l’épouse de Jonathan Zimmermann, seule source de douceur et de rationalité dans ce monde devenu trop brutal.
Mais Liza Kreuzer reste trop seule pour faire vibrer la corde de l’émotion. Et c’est bien là le principal défaut du film. A force d’installer la violence au premier plan, Wim Wenders rend le spectateur indifférent au sort de Jonathan Zimmermann. La compassion qu’on éprouve au départ pour cet homme malade qui vit dignement entre son métier d’encadreur et une famille attentionnée, s’étiole progressivement lorsqu’il devient une machine à tuer. Pour capter davantage d’émotions dans l’œuvre du cinéaste allemand, on préférera certainement revoir Harry Dean Stanton en quête d’identité dans « Paris-Texas » ou se laisser de nouveau subjuguer par la poésie des « Ailes du désir ».