Qui a mangé des frites avec sa victime … A Bruxelles dans les années 80, des policiers appelés sur la scène de crime par égorgement, en sont convaincus…celui qui a partagé les pommes frites avec la morte ne peut être que le coupable…En scène, une juge , trois flics et un suspect, l’amant de la défunte, aux alibis très vacillants….Contrairement à ce que laisserait penser le titre, nous sommes dans un documentaire il s’agit d’un remontage en noir et blanc de trois épisodes de 52 minutes tournés il y a au moins quinze ans, de l’émission Strip-tease, créée par Jean Libon et Marco Lamensch , une émission qui passait très tard et dont l’objectif pour ses créateurs était de réaliser des documentaires d'un genre nouveau dans lesquels les commentateurs s'effaceraient pour laisser parler les protagonistes : « Strip-tease : l’émission qui vous déshabille ». Personnellement, c’est une émission que je n’ai jamais regardée, je ne suis donc pas un aficionado de l’émission…
Poulet frites est donc la captation de A à Z d’un authentique fait divers se passant dans des milieux assez sordides ou cosmopolites de la capitale belge…Le film a l’ambition d’aller droit au but, une série d’éléments factuels resserrés pour augmenter la teneur archétypale des personnes à l’écran, quitte à rendre obscure la frontière entre la fiction et le documentaire. Son schéma narratif avance d’indice en indice ; ses policiers sont juste caractérisés comme tel, menaçants et un peu bourrus plongeant dans un réseau de prostitution belge... Au sein des personnes-personnages présents à l’écran, se trouve l’emblématique Anne Gruwez, juge d’instruction vue dans de précédents numéros, déjà compatissante et au regard toujours plein de malice. Le noir et blanc très prononcé marque l’ambiance du récit… Le film ne manque pas d’égratigner par pur désir de transgression l’institution policière belge et leur entente avec les autorités internationales. Souvent agressives, guidées par des stéréotypes peu reluisants, les forces de l’ordre émettent des petits commentaires moqueurs peu emballants que Hinant et Libon relèvent à la manière de clins d’œil anar. Cela surligne la violence sociale qui touche les quartiers les plus défavorisés de Belgique, où s’entassent les minorités ethniques, les drogués sans le sou ou les sans domicile fixe. Difficile de dire ce qui frappe le plus dans Poulet Frites, entre le vertige suscité par les ramifications complexes de l’enquête menée par la police criminelle bruxelloise et la manière dont elle met en lumière la glaçante réalité dans laquelle vit la population défavorisée au cœur de l’affaire… Au-delà de l’enquête, ce sont ces petites gens qui crèvent l’écran. Leurs personnalités souvent lunaires, leurs maladresses verbales et leurs difficultés d’appréhension ou de compréhension du contact social en font de grands personnages de cinéma.
Pour autant, c’est précisément dans la formation d’une intrigue confinant au polar que le film affiche ses limites. La présence de la caméra fausse-t-elle l’attitude des policiers, acteurs malgré eux ? A ce sujet, les petites gens font plus authentiques… Il convient de s’interroger, sur l’intérêt (si ce n’est sur l’éthique) de cette fictionnalisation nourrie d’artifices de montages dispensables (suspense, rebondissements, logique de progression dramatique…). Il y a un côté voyeuriste et ce que le film au fond raconte, c’est que la réalité sordide qu’il dépeint se confond avec l’imagerie d’une série B. Reste que le cynisme de l’entreprise a de quoi déranger et personnellement je me suis senti mal à l’aise, ne comprenant pas certains rires de la salle….