Avis sur L'Empire du silence

Entre archives et témoignages, un film choc. (...) Thierry Michel n’épargne ni les acteurs du drame, ni les dirigeants congolais complaisants, ni les pays voisins prédateurs, ni les institutions internationales et leur inertie. (lire l'intégralité de la critique sur le site d'Africultures)

L'Empire du silence est un film-somme, un réquisitoire impitoyable qui évoque 25 ans de massacres quasi ininterrompus dans la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre). Le réalisateur belge Thierry Michel, qui sillonne le pays depuis des années et lui a consacré plusieurs documentaires, s'inscrit dans les pas du Prix Nobel de la Paix 2018, le docteur Mukwege, l'un de ceux qui osent parler des tueries perpétrées en RDC, dont les responsables n'ont jamais été jugés et exercent même, pour certains, des fonctions importantes au sein de l'armée congolaise. L'Empire du silence remet les événements dans leur contexte, chronologiquement, avec le génocide rwandais qui est la source des premières atrocités commises par des troupes rwandaises et ougandaises sur le territoire congolais. La suite est un véritable chaos sanglant, entre seigneurs de guerre, milices et forces gouvernementales, durant deux décennies, et dont les victimes, innombrables sont les civils, les femmes et les enfants. Économiquement, c'est un désastre, avec le pillage des ressources minières du pays mais c'est humainement que le bilan est le plus lourd. Et pendant ce temps-là, l'ONU observe mais n'agit pas. Un rapport, qui liste les carnages et dénonce leurs auteurs, "moisit dans un tiroir." L'Empire du silence, avec des images d'archives terrifiantes et les nombreux témoignages de survivants et de témoins, a pour but essentiel d'éveiller les consciences de la communauté internationale, muette depuis trop longtemps devant l'horreur de véritables crimes contre l'humanité.

Thierry Michel a bientôt soixante-dix ans. Ce documentariste belge, natif de Charleroi, a filmé le Congo sous toutes ses coutures. L’Empire du silence est le treizième documentaire qu’il consacre à ce pays-continent, grand comme l’Europe, qui compte parmi les plus pauvres du monde malgré ses immenses richesses géologiques. Le douzième, en 2015, était consacré à Denis Mukwege, ce courageux gynécologue qui soigne les victimes de guerre au Kivu et qui s’est vu décerné le prix Nobel de la paix trois ans plus tard.

Son discours de réception à Oslo constitue le fil directeur de "L’Empire du silence". Il y rappelle brièvement à ceux qui ne la connaîtraient pas l’histoire de son pays, écrasé pendant trente ans par la dictature mobutiste, dévasté depuis 1996 par une « guerre mondiale africaine » (l’expression est de l’africaniste Gérard Prunier). Il y dénonce surtout le silence étourdissant qui entoure les maux qui affligent la population congolaise dans l’indifférence médiatique générale.

"L’Empire du silence" a des allures testamentaires. Avec lui, Thierry Michel semble boucler la boucle d’une oeuvre kaléidoscopique qui donnait à voir plusieurs facettes du « drame congolais » (pour reprendre le titre d’un essai éclairant de Colette Braeckman) : la kleptomanie des élites dirigeantes ("Zaïre, le cycle du serpent", 1992), la personnalité ubuesque de son dictateur (Mobutu, roi du Zaïre, 1999), le pillage des ressources naturelles de la plus riche province minière du Congo ("Katanga Business", 2009), l’assassinat d’un opposant politique ("L’Affaire Chebeya", 2011)…

Dans "L’Empire du silence", le propos est moins original. Avec beaucoup de pédagogie, une voix off parfois un peu encombrante et le recours à un appareil cartographique très éclairant, Thierry Michel explique comment la première guerre du Congo a éclaté en 1996, comment Paul Kagamé et Yoweri Museveni, les leaders rwandais et ougandais, par défiance à l’égard des extrémistes hutus réfugiés au Kivu, ont soutenu la rebellion congolaise de Laurent-Désiré Kabila jusqu’à ce qu’elle renverse un Mobutu vieillissant. Il explique ensuite comme la deuxième guerre du Congo a débuté deux ans plus tard lorsque le nouveau président congolais a entendu se débarrasser de la pesante tutelle de ses mentors.
En racontant ses pages sombres de l’histoire congolaise, Thierry Michel convoque quelques images d’archives particulièrement saisissantes qui montrent d’immenses colonnes de réfugiés faméliques fuyant la guerre et laissant sur les bas-côtés des cadavres par centaines.

Les efforts déployés par les Nations-Unies pour prévenir ces crimes, pour enquêter sur leurs auteurs et, si possible, pour les juger, sont l’autre volet de ce documentaire. Thierry Michel revient sur le massacre de Mbandaka en mai 1997 commis par les rebelles de Kabila sur des civils et soigneusement dissimulé à la mission d’enquête de l’Onu. Il revient également sur l’assassinat de sang-froid de deux enquêteurs de l’Onu américain et suédois en 2017, filmé par les criminels eux-mêmes avec leurs téléphones portables. Il évoque les sinistres personnages de Laurent Nkunda et de Jean-Pierre Bemba en omettant de signaler que l’un et l’autre ont été arrêtés et incarcérés.

Même si "L’Empire du silence" fait oeuvre utile de pédagogie, je lui adresserai deux reproches. Le premier est de ne rien nous apprendre que nous ne sachions déjà sur les épreuves traversées depuis un quart de siècle par le Congo. Le second est de le faire en répétant une antienne paradoxale : le Congo serait victime de l’indifférence de la communauté internationale et du silence des médias, alors que l’existence même de ce documentaire et sa diffusion démontrent le contraire.

EN CETTE PÉRIODE OÙ NOUS SOMMES BOUSCULÉS PAR LE CONFLIT IMPRÉVISIBLE (?) DES RUSSES QUI PIÉTINENT L’UKRAINE…..

Il est important de nous rappeler ces centaines de milliers de morts ou même des millions (??) dans la République Démocratique du Congo (Kinshasa)
Ceux de ma génération voyaient les « frasques » de Mobutu après celles de Amine Dada (Ouganda) et tant d'autres;
mais on ignore souvent les pires exactions: femmes et enfants massacrés par militaires ou milices de partout.

L’appât des richesses du sous sol, n’y est pas pour rien…..
Important, pour ne pas oublier; le documentaire est un coup de poing dans l'estomac
(certaines images bousculent; âmes sensibles s’abstenir)

L'introduction du film semble imputer exclusivement la responsabilité de la violence en RDC aux Tutsi et à Paul Kagame.

Le film est plus nuancé par la suite, mentionnant des massacres perpétrés en RDC par les Hutu, par l'armée congolaise ou même la police...

Le silence du titre vise essentiellement celui de la justice, le film dénonçant l'impunité presque autant que les crimes eux-mêmes. Il est alors incompréhensible que les poursuites effectives contre Jean Pierre Memba -dont certains des "exploits" sont pourtant rapportés dans le film- ne sont pas mentionnées alors qu'il a été incarcéré par la CPI pendant près de dix ans pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité avant d'être acquitté en 2018...

Le contexte de la guerre en Ukraine et des promesses de poursuites contre crime de guerre nous rend certainement plus sensibles sur le sujet, mais l'impunité renvoie nécessairement aux modes de poursuites (instances choisies, nationales ou internationales) et au type de peine. À ce titre, le spectateur attentif s'interroge sur l'exercice en l’occurrence de la compétence judiciaire universelle et de l'éventuelle circulation dans nos pays des responsables des massacres perpétrés au Congo.

Le film interroge aussi l'inefficacité de l'ONU, au premier titre celle de la "Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo" qui continue imperturbablement les mêmes actions inefficaces depuis fin 1999, mais également celle plus courageuse des observateurs de terrain ; le film rappelle que deux spécialistes onusiens des questions humanitaires, Michael Sharp et Zeïda Catalan, ont été exécutés sans que l'ONU ne réagisse de façon énergique...

Ce docu a été retenu pour Visions d'Afrique 2022.

Un film édifiant, mettant en lumière des scandales politiques et le manque d'interventions de l'ONU. On se demande comment on peut laisser faire tout ça sans rien dire. Les images sont choquantes. Un énorme soutien à Thierry Michel, notamment, et Denis Mukwege car leur implication pour la Justice est impressionnante. Bravo et merci pour ce film !

Film magistral qui montre de façon éloquente - et d'autant plus violente puisqu'il s'agit d'images réelles - jusqu'à quelle négation de tout sentiment d'humanité et de fraternité il est possible d'aller.... Impossible de voir une porte de sortie à cette suite de violences infinies présentées de façon didactiquement chronologique sans une mobilisation internationale massive... Un film à voir absolument.

Pour une personne qui, comme moi, ne sait rien d'autre du conflit que son existence, ce film est indispensable. Indispensable en effet d'ouvrir les yeux sur ce qui se passe en Afrique et en particulier dans ce grand pays richissime par son sous-sol mais dont les habitants vivent pauvrement. Quand ils ne sont pas victimes de massacres. Dans l'indifférence quasi générale.

Extraordinaire documentaire qui vous emmène "au cœur des ténèbres", au centre de l'Afrique, où d'une guerre interethnique qui vire au génocide au Rwanda, le conflit gangrène le pays voisin, le Congo sans rien perdre de sa sauvagerie initiale, bien au contraire, les massacres de populations essaiment ce territoire sur trois décennies avec une cruauté sans limite. Les images sont époustouflantes, les victimes s'y expriment dignement et les bourreaux (connus de tous même de l'ONU) sont identifiés et désignés, ce sont des chefs de guerre sanguinaires devenus piliers du pouvoir en place. Ce film serait totalement désespérant s'il n'y avait comme figure centrale le Dr Denis Mugwege (L'homme qui répare les femmes) autour de qui s'agrègent des voix d'un peuple qui, bravant la terreur, commence à réclamer que justice lui soit faite. Il faut les écouter.