Je ne peux pas présumer de la fidélité de cette adaptation au matériau d’origine, mais Lautner s’échappe un peu de la comédie légère avec ce film qui adapte Matheson. Etonnant ! Je dois avouer que le début fait peur. On sent qu’on est dans du Lautner. Le registre se veut comique, assez surjoué et plutôt anodin avec des ressorts de vaudeville et on ne sait pas trop où veut aller le film. Clairement, le départ n’est pas hyper engageant, et comme en plus Delon n’a jamais joué dans des comédies réussies, on s’inquiète du pire !
Heureusement, passé ce début poussif, le film trouve peu à peu son rythme et glisse progressivement de la comédie vers le polar puis par moment, même, vers le giallo. Les seins de glace distillent en effet une esthétique giallesque par moment, avec cette femme fatale blonde, les armes blanches, certains éclairages, la touche sexy qui apparaît notamment à la fin. L’histoire vaut ce qu’elle vaut, mais la tension graduelle fonctionne, il y a un certain suspense entretenue autour de la chute du film, laquelle ne m’a pas déçu, au contraire. Pour ma part, on tient là typiquement le film poussif qui rattrape finalement les wagons et termine en apothéose. Il y a pas mal de scènes originales dans le cinéma français par leur aspect « angoisse » qui moi m’a beaucoup fait penser au cinéma italien. On notera d’ailleurs que si Lautner n’est pas un Bava ou un Argento de la grande époque, son film a une certaine esthétique. On sent une vraie application dans les éclairages, les décors, les ambiances, la petite touche de violence est très convaincante et les scènes de meurtres sont solides. Lautner surprend agréablement, lui que je trouve souvent un peu mou, trop pépère, sort ici de sa zone de confort et pour le meilleur.
Evidemment, ce film est bien soutenu par ses acteurs. Alain Delon est parfait dans son rôle. C’est typiquement son genre de personnages, il est à l’aise et il apporte une réelle émotion, en particulier dans l’épilogue. Face à lui, Brasseur est également dans son élément avec un personnage plus fantasque, un poil agaçant dans la première partie pour son côté surjoué excessif, mais qui évolue positivement au fil du film jusqu’à être également touchant. Au milieu, Mireille Darc, très convaincante dans son rôle ambigu. Pas facile de jouer la folie, elle y arrive à merveilles en trouvant le parfait équilibre. La folie ce n’est pas faire le clown, mais c’est paraître très normal sans l’être ! A noter la qualité des seconds rôles, pas forcément très présent mais tous excellents et une bande son assez angoissante et sombre qui surprend au début vu que le film s’ouvre plutôt de manière comique. On comprend ce choix par la suite.
En conclusion Les Seins de glace est un métrage qui m’a fait plutôt peur au début. Je craignais une comédie plutôt lourdingue autour d’une histoire à demi-vaudevillesque. Mais en vérité non, et tant mieux ! Le film est en réalité sombre, violent, assez singulier dans le cinéma français, surtout à cette époque, et le résultat est franchement de belle tenue. 4