Qui se souvient aujourd’hui qu’avant Tony Montana, il y avait Tony Camonte ? Car, on l’oublie trop souvent mais le "Scarface" de Brian de Palma est le remake (assez fidèle dans sa structure) d’un film signé Howard Hawks en 1932 et qui entendait dénoncer les dérives mafieuses de la pègre de Chicago (menée par un certain Al Capone surnommé… Scarface) et l’inertie gouvernementale face à la montée de ce fléau. A ce titre, le film est une vraie curiosité puisqu’il s’ouvre avec un carton qui harangue le gouvernement américain, accusé de laisser faire ces factions mafieuses et l’interrogeant frontalement sur les mesures envisagées pour y mettre un terme. Quel film aujourd’hui peut se vanter d’avoir été aussi loin dans l’interpellation frontale ? Le film ne fait, d’ailleurs, pas grand mystère concernant celui dont elle entend dénoncer les actes puisque, outre le titre évoquant le surnom d’Al Capone, il situe son intrigue à Chicago et nous montre le fameux meurtre de la Saint Valentin qui fut l’un des coups d’éclat du gangster. Et force est de constater que ce parti-pris en fait un exemple assez rare de représentation peu reluisante du milieu mafieux, qui se voit critiqué avec un premier degré auquel le grand écran ne nous a pas habitué depuis. On est loin de l’ambiguïté des films plus récents, voire même du remake de De Palma (où Tony était un peu réhabilité par son refus de tuer un enfant). Howard Hawks, lui, ne magnifie jamais son (anti)héros qu’il présente sous une facette certes flamboyante mais, surtout, pathétique dans son arrivisme immoral. Hawks n’hésite, d’ailleurs, pas à affubler son Tony Camonte de tous les défauts (voleur, menteur, tueur, jaloux, colérique, frimeur…), y compris les plus tabous. Ainsi, sa relation avec sa sœur frôle souvent avec l’inceste, même si ce traitement a, sans doute, été très édulcoré (Code Hayes oblige). Hawks le fait, certes, évoluer dans un milieu opulent où l’argent et le champagne coule à flots mais il n’oublie jamais de rappeler au spectateur les moyens employés par Camonte et son absence de scrupules, caché derrière ces costumes sue mesure. Ce qui sauve, d’ailleurs, l’intérêt du personnage, c’est l’interprétation de Paul Muni, qui ne nous laisse pas un instant de répit (avec son débit de mitraillette et ses mimiques incroyables) et qui n’a rien à envier au cabotinage d’Al Pacino, près de 50 ans plus tard. Le casting, est, d’ailleurs, l’un des points forts du film et aligne une galerie de vraies gueules de cinéma bourrés de classe, de Georges Raft en bras droit séducteur à Ann Dvorak en petite sœur délurée en passant par Karen Morley en trophée convoitée, Osgood Perkins en boss minable, Vince Barnett en secrétaire simplet ou encore Boris Karloff en rival. La mise en scène de Howard Hawks est, également, une réussite puisqu’il s’autorise quelques effets plutôt originaux (le temps qui passe au bruit des mitraillette, la mise en scène du meurtre de la Saint Valentin…) et parvient à faire ressentir la violence de l’époque, malgré la censure imposée. Tout au plus pourra-t-on lui reprocher une fin un peu trop vite expédiée (
il faut dire que le film de l’époque avait un peu trop tendance à s’achever sur la mort du bad guy, suivie, quelques secondes après, du panneau THE END)
. C’est peu et, au vu de la qualité formelle et de la virulence de la charge, ce "Scarface" mérite vraiment d’être redécouvert aujourd’hui.