Le réalisateur Frédéric Mermoud nous offre une plongée la tête la première (et pour ainsi dire en apnée) dans l’enfer des prépas aux grandes écoles. Ici il s’agit d’une prépa scientifique, et je le dis d’entrée : on ne comprend absolument rien aux formules et aux concepts énoncés pendant le film, les équations, les démonstrations, les formules, tout cela aurait pu être des passages sous-titrés en chinois, pour moi ça n’aurait rien changé ! Mais le propos n’est pas là et l’intérêt du film non plus. Disons que si « La Voie Royale » avait mis en scène une prépa littéraire, j’aurais été (un tout petit peu) moins étourdie par le contexte. Son film est plutôt réussi dans le sens où tout ce déferlement de physique et de mathématique ne vient pas parasiter le fond du sujet. Sur la réalisation je ne trouve rien à redire, le film est bien calibré, sans temps morts, le suspens (ou plutôt le pseudo suspens) est pile là où on l’attend. Il y a des passages douloureux (mais ça aurait pu être pire et verser dans le pathos), des moments plus tendres, un peu d’humour mais pas beaucoup (on boit beaucoup en prépas, mais on se marre peu). Le rôle titre est tenu par Suzanne Jouannet, qui insuffle à son personnage le juste dosage qui convient entre force et fragilité. Habituée au succès et aux notes excellentes, elle se heurte pour la première fois à un plafond où tout le monde lui semble bien meilleur qu’elle. Cette confrontation à l’échec, expérience que nous avons tous fait un jour, déstabilise cette gamine qui avait l’air si bien dans ses baskets. Pas mal de jolis seconds rôles autour d’elle, tenus par Lorenzo Lefebvre, Alexandre Desrousseaux, Cyril Metzger, Marie Colomb ou encore Maud Wyler. Ce sont des seconds rôles qui ne sont pas juste là pour faire valeur l’héroïne principale, ils ont tous une histoire à raconter : du garçon de bonne famille, second de la fratrie et un peu écrasé par son grand frère à la fille hyper brillante mais qui cherche du sens là où il n’y en a pas. J’aime bien le rôle tenu par Maud Wyler, professeur de physique cassante, hyper rigide, sévère et tout à fait dans l’idée qu’on se fait d’une prof en prépa. Le fait qu’elle soit une femme et qu’elle semble plus dure avec Sophie qu’avec les autres n’est pas évident à décoder au départ. Mais elle le laisse filer dans une réplique à un moment, il est question avec elle de la place des femmes dans la monde de la science. Cette mixité là n’est pas le sujet central du film, mais c’est le combat silencieux de ce personnage. Le vrai sujet, c’est plutôt une autre mixité, non pas la mixité culturelle (pour celle-là, on repassera) mais la mixité sociale. Là, on va dire que le scénario ne fait pas dans la demi-mesure : Sophie aurait pu être fille d’ouvrier, d’artisan ou venir d’une cité mais il fallait que ce soit encore plus dichotomique : elle sera fille d’éleveur, parce que c’est un monde encore plus dur et difficile que l’agriculture ! Cette jeune fille, qui nourrit les cochons au début du film, débarque dans le quartier huppé de Lyon au milieu de gens qui sont aux antipodes de sa famille. Comme si la prépa n’était pas déjà si difficile, il fallait aussi gérer le côté « transfuge de classe »
et les problèmes que cela implique avec sa famille (le gâteau du Noël) : le week-end sur les ronds points avec les gilets jaunes, la semaine dans l’ambiance feutré d’un lycée prestigieux, il y a de quoi perdre ses repères.
Tout ce qui fait la mythologie des classes prépas est là : le bizutage, les sorties où on boit trop, les colles, les semaines de 70 heures, le classement, la compétition entre élèves, l’échec et la dépression. « La prépa, ce n’est pas pour tout le monde », ce mantra qui leurs donne l’impression de compatir à l’échec des autres n’est en réalité qu’une forme de condescendance. La (trop) courte discussion entre Diane et Sophie, sur la question des gilets jaunes, montre bien le fossé infranchissable sous les pieds de cette dernière. Et pourtant, il faut bien que ce monde là s’ouvre pour avancer, l’entre-soi n’a jamais fait avancer quoi que ce soit. Tout cela est bien brassé par un scénario qui tente d’éviter d’en faire trop sans toujours y parvenir. Sophie intégrera-t-elle Polytechnique ? Et pour y faire quoi ? Parce que cette seconde question est bien aussi importante que la première et pourtant elle n’est pas suffisamment traité,
sauf à la fin, par une sorte de pirouette assez peu convaincante
. Ce petit déséquilibre de fond, ces quelques petites faiblesses du scénario ne gâche pas l’ensemble d’un film pertinent qui a le mérite de nous introduire dans un monde que peu d’entre-nous a fréquenté.
Il a aussi le mérite, sans dévoiler la fin, de montrer que la prépa n’est pas l’alpha et l’oméga de la réussite.