INU-OH, ou la sublimation du Nô en Art rock par le génie japonais :
Une fois encore, en ce XXIème siècle décadent, décati, gâté par la banalité vulgaire d’internet et de ses baronnets auto-proclamés (les « influenceurs »), le Japon nous prouve à quel point il brandit fièrement, et hélas isolément, l’intelligence, la fulgurance et la résilience d’une humanité en grand danger.
Cette semaine est parvenu sur nos écrans « Inu-Oh », du brillant Masaaki Yuasa (dont je ne cesse de chanter les louanges à chaque nouvelle réalisation - cf. « Mind Games », « Lou et l’Île aux Sirènes », « Devilman Crybaby », « Ride your wave », ou encore le barré « The Night is Short, walk on girls »…).
La synthèse soumise par Allo-Ciné aux spectateurs potentiels est la suivante : « lnu-oh, créature maudite, est né avec une particularité physique l’obligeant à cacher chaque parcelle de son corps. Sa vie de paria solitaire change lorsqu’il rencontre Tomona, un joueur de Biwa aveugle. Ensemble, ils créent un duo singulier qui fascine les foules et deviennent les premières célébrités du Japon. Pour découvrir la vérité sur la malédiction d’Inu-oh, ils devront continuer à danser et chanter, au risque de déranger l’ordre établi. »
Or, ce résumé n’est aucunement respectueux d’une œuvre aussi incroyablement ciselée et fine que celle que je viens de voir, d’écouter, de respirer.
Inu-Oh ressortit à ce monde parallèle des chefs d’œuvre sortis de nulle part, de ces productions incroyables qui, par la magie du millimètre (d’humour, de couleur, d’audace, d’innovation, de chance aussi, de magie en tout état de cause), sont uniques.
Soyons clair : je crois qu’il sera impossible de reproduire, et de toute façon difficile d’égaler, la foisonnement créatif d’Inu-Oh.
Inu-Oh est, tout ensemble, une ode à la liberté, à la vérité, à l'art, au rock, aux sentiments que la trahison ne parviendra jamais à tuer ; une merveille de réalisation par laquelle le Nô et le Rock se répondent et se confrontent ; une scène sur laquelle la modernité - vecteur de vérité et le conservatisme - instrument politique continuent de s’affronter.
Inu-Oh est un miracle visuel et auditif qui parvient, dans le Japon médiéval d’il y a six siècles, semblable à celui de Princesse Kaguya, et dans l’univers des esprits et dieux si cher à l’animation nippone, à faire muter un Nô primitif vers le rock de Jimi Hendrix, à livrer dans un shogunat du XIVème siècle des représentations d’opéras rock évoquant Tommy des Who ou la grandiloquence de Queen, à faire vibrer des sonorités typiquement Jane’s Addiction dans des palais écrasés par l’étiquette impériale, à faire émerger dans un monde terriblement ancien une rock star maquillée comme Aladdin Sane, à faire bouger les paysans en mode breakdance. Pourquoi David Bowie, qui connaissait déjà tout du yukata, n’a-t-il pas compris que l’avenir du son appartenait au Biwa ?
Une fois encore, je m’incline et dis merci ! Seuls les japonais peuvent, aujourd'hui, dans notre monde de hontes et haines aussi recuites que factices, revendiquer fièrement leur culture, leurs croyances et leurs racines, en un mot leur tradition, nous en rendre jaloux, tout en la dénaturant respectueusement dans un esprit purement punk et un déluge de lumières.
Inu-Oh, vous l’aurez compris, est une réussite absolue. A n’en pas douter, ma plus belle surprise de 2022, voire des années covid !
(NB : certaines scènes, assez violentes, peuvent ne pas être adaptées à un public mineur de 13 ans…)