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norman06
354 abonnés
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3,0
Publiée le 15 avril 2022
Le récit et la mise en scène sont audacieux, en mêlant naturalisme glauque et onirisme fantastique. Mais il est permis de s'ennuyer ferme face à cette énième variation d'un certain cinéma de festival.
Avant toute chose, devant Le grand mouvement, il faut laisser de côté le confort des récits bien peignés et des progressions dramatiques agencées pour captiver le spectateur. Le film du bolivien Kiro Russo, c'est autre chose, le portrait d'une ville perchée très haut (La Paz) et de ses habitants, montrés sans fard, pauvres mais dignes, incarnés par de vrais gens qui sont à l'écran les mêmes que dans la vie. Le grand mouvement ressemble souvent à un documentaire, kaléidoscopique, que viennent heurter des bribes de fiction mais aussi quelques éléments de réalisme magique, voire, pour une scène étonnante, un début de comédie musicale. Le propos est aussi politique avec des mineurs montés à la ville pour protester contre leur licenciement et dont les poumons siliconés de l'un d'entre eux ne supportent pas l'altitude. Ce jeune homme côtoie d'autres figures de la cité : les vendeuses du marché, espiègles et bienveillantes, et un ermite, guérisseur à l'occasion, qui erre entre la forêt et les rues de La Paz. Le maelström des images, non numériques, naturellement, crée une musicalité et une poésie surprenantes et indéfinissables. Un cinéma différent, presque expérimental mais vivant, qui fait écho à un autre film bolivien actuel, Utama, situé lui sur l'Altiplano andin. Sa narration est plus classique que celle du Grand mouvement mais les deux films se complètent et se répondent.
C’est une réalisation de Kiro Russo qui en a aussi écrit le scénario. Le grand mouvement a remporté le Prix spécial du jury Orizzonti à la Mostra de Venise 2021.
La Bolivie, ce pays d’Amérique du Sud aux 11 millions d’habitants. Il est rare de voir un film venu de ces lointaines contrées et on profite donc de la présence de Le grand mouvement pour le découvrir. En effet, l’action va se dérouler à La Paz l’une des capitales les plus hautes au monde avec 3 640 mètres d’altitude. C'est d'ailleurs très bien souligné dans les paysages qui sont exploités de très juste manière.
L’occasion donc de découvrir culturellement ce pays. On est plongé au cœur de cette ville avec ses us et coutumes. Notamment, en ce qui s’agit de la façon de travailler pour gagner sa vie quand on vient d’une classe populaire. La manière de filmer peut paraître un peu amateur, mais cela donne la force et de l’authenticité. Ce n’est pas un cinéma qui a beaucoup de moyens. Cela se voit, mais ce n’est pas dérangeant. Ce qui pour beaucoup aurait été un handicap, ce drame arrive à le transformer en force.
On est donc totalement avec les agonistes qui font le maximum pour vivre. L’un est issu d’une mine qui a fermé et va se débrouiller pour pouvoir se sustenter. L'autre est une sorte de chaman et il va selon là où le vent le mène. Deux modes de vie totalement différents, mais qui vont bien montrer la complexité sociale bolivienne. Ce film se regarde, s’observe et se vit.
Le revers de la médaille est qu’on a l’impression par moments que c’est un peu de l’improvisation. Les personnages font leur vie et il n'y a pas forcément de fil conducteur. Il faut donc bien prendre en compte que l’intérêt de Le grand mouvement est une immersion et non l’intensité d’un récit. Une vision qui ne peut pas plaire à tout le monde, mais qui à coup sûr trouve ses fans. Les acteurs non-professionnels ont l’air de vivre leur situation. Parfois, cela sonne tellement vrai qu’on ne sait pas si nous sommes devant une fiction ou un documentaire. Sur ce point, on peut donc dire que c’est une réussite.
A la vision de "Le grand changement", il n’est pas interdit de penser au cinéma du thaïlandais Apichatpong Weerasethakul. En effet, on retrouve dans ce film, comme dans d’autres films réalisés en Amérique du Sud ou en Amérique Centrale, comme, par exemple, "La danse du serpen"t de Sofia Quirós Ubeda, cette rencontre subtile entre monde du réel et présence du surnaturel. Il n’a d’ailleurs pas été étonnant de constater que c’est en Colombie que Apichatpong Weerasethakul a réalisé "Memoria", son film le plus récent ! Toutefois, tout en étant souvent très onirique, tout en étant aussi souvent proche d’un cinéma expérimental, avec des images déformées et une utilisation très particulière du son, "Le grand mouvement" est aussi un véritable documentaire sur la Bolivie, une Bolivie en pleine évolution, partagée entre survivance du passé et modernisme, vieilles croyances impliquant le diable dans l’apparition d’une maladie face à la médecine moderne, vieilles demeures branlantes face à des habitations contemporaines. Dans ce film tourné en 16 mm, le côté documentaire est d’autant plus sensible que les comédiens et comédiennes sont tou.te.s des non professionnel.le.s. Max Bautista Uchasara, l’interprète de Max, le réalisateur le connait depuis 2004 et il n’imaginait pas réaliser son film sans sa présence. Même si, gêné par la présence de la caméra, il a été finalement moins présent que ce qu’en attendait Kiro Russo, il lui a apporté beaucoup en lui montrant des choses qu’il ne connaissait pas, qu’il n’avait jamais vues. Film souvent déroutant, Le grand changement est une expérience cinématographique qui mérite d’être vécue.