Tout d'abord, je tiens à préciser que je suis une fan absolu de Mikhail Boulgakov et que depuis plus de trente ans j'ai dû lire "Le maître et Marguerite" une douzaine de fois sinon plus (je suis monomaniaque et c'est l'un des deux livres que j'emportais avec moi dans des coins perdus du globe où je ne pouvais trouver aucun livres en français).
Ceci dit...
Ce qui m'a le plus impressionnée dans cette adaptation, c'est le montage incroyable maîtrisé. Une gageur car le parti-pris du récit en abime rend l'exercice très périlleux.
Alors oui, des choix ont été fait. J'ai regretté un peu la dinguerie absurde des romans fantastique de Boulgakov (j'ai un faible pour les "Œufs fatidiques") et du "Maitre " en particulier. Il y a des moments absurdes comme l'arrivée d'Ivan au restaurant (scène très réussie d'ailleurs), le représentation au théâtre (bien que pour le coup, l'intervention de l'acteur me semble ratée et mal amenée), Béhémoth (très réussi le gros chat et malheureusement un peu sous-exploitée), le bal...
Adapter" Le Maître et Marguerite" c'est se confronter à un monument, à un roman à la russe avec des tas de personnages et des tas d'intrigues. Le réalisateur a choisi de se concentrer sur l'histoire du Maître, sur son histoire d'amour et sa rencontre avec Wolan et ça marche. Peut-être parce que les interprètes de Marguerite et de Wolan sont incroyables.
Yulia Sniguir possède un charisme hypnotique. Elle promène sa grâce et sa détermination tout au long du film. J'ai trouvé qu'elle incarnait une formidable Marguerite.
August Dielhl ne correspondait pas lors de sa première apparition à l'idée que je me faisais de Wolan. Le personnage de Boulgakov est très complexe et possède un côté trivial qui n'a pas été mis en avant dans le film. Mais plus le film avance et plus le personnage de Wolan s'ancre dans la tête du spectateur. August Dielhl a ce petit sourire en coin, cette élégance, cette légère froideur qui donne toute la dimension de ce personnage ambivalent et légèrement inquiétant. Le recours à la langue allemande lors de ses échanges avec le Maître accentue l'étrangeté du personnage. Comme le recours au latin lors des scènes antiques apporte une poésie mais aussi un décalage très fort avec l'époque où se déroule le récit principal.
Le réalisateur n'emploie pas les trois langues (russe, allemand et latin, parfois même des petites interventions en français) de façon anodine. Les langues ont un sens, elle décrivent de part leurs tonalités, leur vocabulaire et leur grammaire, un monde différent, des idées différentes. J'ai beaucoup aimé cet aspect dans le film.
Je suis restée un peu saisie par le dégommage de la Russie soviétique (aspect très présent dans le roman) et par la critique du pouvoir (critique exprimée par Ieshoua auprès de Ponce Pilate dans la pièce puis le roman qu'écrit le Maître). Je me suis dit "Houa... balancer ça en 2021, c'est courageux" (le film a été tourné en 2021 mais il est quand même sorti en 2023), j'ai regardé si le film avait eu du succès et oui, il a eu du succès en Russie. Alors, c'est vrai "Le maître et Marguerite est considéré comme une chef d'œuvre de la littérature russe et Boulgakov a été victime de la censure stalinienne si bien que le roman a été édité après sa mort, mais quand même. C'est un sacré brûlot.
J'ai beaucoup ri lors du spectacle qui remplace le "Pilate" du Maître... J'y ai retrouvé l'esprit d'un ballet communiste que j'avais vu en Chine en 2006 (la fiancé aux cheveux blanc), la mise en scène grandiloquente, les chants à la gloire du Parti et Wolan qui arrive là-dedans. Ca, ce n'est pas dans le roman, c'est une création du réalisateur et c'est très bien fait, très réaliste et drôle.
Ivan le poète "d'état" est très réussi, ses vers stupides et ses interventions ridicules. Et puis la dénonciation de la censure, des privilèges pour qui est dans la bonne ligne politique, la délation.
Le film a pour fil conducteur l'histoire entre le Maître et Marguerite mais c'est aussi un brûlot politique parce que le roman est un brûlot politique.
En tout cas, le film, avec ses partis pris assumés, est une réussite.