Quand Gavras-père réalise Adults in the room (2019), il comprend fort justement l’essence de la tragédie antique : la présence d’un chœur, la construction du récit en détours qui finissent pourtant par converger vers un destin unique et collectif, et auquel les héros doivent se soumettre malgré leurs efforts, le recours aux coups de théâtre, les dilemmes rencontrés par les personnages. Quand Gavras-fils réalise Athena, il réduit la tragédie à un spectacle sur fond de mort qui se repaît du chaos environnant comme le faisait il y a peu Joker (Todd Phillips, 2019), l’adopte en terrain de jeu sur lequel se livrer à un exercice de style. La forme écrase tout : les enjeux politiques, la caractérisation des personnages et leurs relations, la montrée progressive mais inéluctable du tragique ; elle se galvanise des forces humaines en présence, elle les exploite pour alimenter sa machinerie infernale dans l’espoir, peut-être, d’atteindre l’abstraction, soit l’anarchie pure (soi-disant) coupée de tout discours social théorique, la « guerre civile » telle qu’elle est évoquée sur un écran de télévision et par les ondes.
Pourtant, le film ne peut s’empêcher d’articuler son anarchie tragique avec une imagerie biblique qui oppose deux camps comme lors d’une guerre sainte, puisant autant dans la passion du Christ que dans l’Apocalypse, mais sans se soucier jamais de ce que ces images sacrées signifient. L’un des leaders des banlieusards en fureur mute en avatar du Christ aux cheveux longs que l’on couvre, à terme, d’un drap blanc… Ses larmes, volées par une caméra obscène, troquent la pudeur contre une motivation, sinon une légitimation des actions violentes entreprises avant et après. Gavras-fils confond compassion et complaisance, et voudrait partager avec ce long métrage une vision eschatologique du monde qui, faute de discernement et d’intelligence, se vautre dans la débauche d’effets gratuits. Il filme de la même façon, avec une même esthétisation galopante, un banlieusard en pleurs devant la photo de son frère et un gilet de police en feu. L’indifférence profonde qu’il manifeste à l’égard de ses personnages, réduits à leur simple ancrage familial sans que n’ait le temps d’advenir une malédiction – nous arrivons à l’acte V d’une pièce qui se joue sans public –, ne saurait faire d’eux des vecteurs d’identification et d’immersion pour le spectateur. En outre, ces fantoches interchangeables réduits à des cris, à des insultes, à des grognements échouent à être « l’incarnation d’un acte, d’une souffrance représentatives et caractéristiques d’un des grands aspects de l’humanité » (Hakim Adel, « La statufication du personnage dans la tragédie grecque », 1992), conformément au statut du personnage de tragédie et à la différence de l’excellent Les Misérables (Ladj Ly, 2019).
Athena s’affirme donc tel un beau son et lumière que dynamisent des caméras et synchronisation minutieuse des acteurs et des lieux, telle une comédie musicale à la composition pompière qui tente de conférer à l’ensemble de la gravité par un mélange d’électronique et de chœurs. Un film qui n’est en rien un scandale, sinon pour le nom de Gavras et pour le cinéma au sein duquel le rejeton tente encore de trouver une place.