La fin justifie t-elle les moyens ? On la connait tous cette problématique, elle s'insinue dans notre lecture de l'actualité, en particulier lors des points d'échauffement. Mais également dans les formes artistiques, lesquelles ont plus souvent qu'à leur tour l'occasion de se poser la même interrogation. Les mots importent dans un chant, les images s'enracinent dans la mémoire, et l'interprétation que le public en tire est à double-tranchant. Il y a deux ans, avec Un Pays qui se tient sage, David Dufresnes interrogeait notre rapport à ces témoignages pris sur le vif pour mieux révéler le problème structurel derrière la violence policière, et l'impasse idéologique où il menace d'entasser agents, militants, journalistes et politiciens. C'est peu ou prou le même constat tiré par Romain Gavras sur Athena (qui reprend d'ailleurs l'image phare du documentaire de Dufresnes), du moins pourrait-on le penser.
Des 97 minutes, on ne ressortira pas indifférent. Passons les partis pris intellectuels verrouillant les rhétoriques, puisque de toute façon leurs détenteurs n'ont généralement aucune envie de s'en délester pour affronter une réalité plus complexe. Gavras avait bien l'intention manifeste de leur renvoyer cette simple évidence à la face, en témoigne ce procédé voyant révoltés, résidents, policiers, militaires marcher longuement face caméra jusqu'à ce qu'ils se confondent dans les ténèbres. Tous dans le même bateau, et il coule. À vitesse grand V. On pense légitimement aux Misérables sorti en 2019, dont Athena pourrait être une suite officieuse (Ladj Ly et Alexis Menti apparaissent d'ailleurs). Le film démarre précisément là où Ladj Ly terminait le sien. Un plan-séquence tonitruant, dans la droite lignée des Fils de l'Homme, plaçant son spectateur au cœur de la peine, de l'amertume et de la rage. Au cœur du chaos. Après ça ? C'est bien le problème.
Techniquement, le long-métrage est l'énième preuve d'une force de propositions dans tous les sens du termes concernant le cinéma français. De quoi annihiler la dialectique malhonnête, ignare ou les deux à la fois, cantonnant la production hexagonale à des schémas pantouflardes et formulaïques. Une foule d'images à retenir mêlant élans tragédiens, instantanés sur l'anarchie et traversées guerrières à l'envergure démesurée. Voilà ce qu'on peut faire avec un budget confortable, une vision féroce et une foule enthousiaste. Un peu comme Bac Nord sorti l'année passée, dont la teneur a grandement divisé les spectateurs, entre l'admiration sur la forme et la gêne voire l'hostilité sur le fond. Un constat malheureusement extensible au film de Romain Gavras. Quand l'habillage grappille de plus en plus de place sur la caractérisation, les enjeux ou les dialogues, on finit naturellement par s'en détacher.
Deux frères lancés dans la bataille, l'un décidé à se faire entendre et l'autre de concilier. Au milieu, un jeune CRS aspiré dans un cercle vicieux de heurts et de revendications. Ces trois éléments suffiraient à générer l'implication si le rouleau compresseur pyrotechnique ne les réduisait à peau de chagrin. Le fil rouge lui-même étant complètement laissé à l'abandon(!), pour être "résolu" dans un final extrêmement paresseux. Anthony Bajon et Sami Slimane y mettent du cœur, mais leurs personnages n'ont pas le temps de se déployer. C'est encore plus triste pour Dali Benssalah, qui doit composer avec un archétype dont les revirements évoquent l'écriture primesautière. On en arrive au point de questionner la virtuosité au premier plan au regard des effets pervers qu'elle engendre sur tout le reste. On échappe aux relents nauséabonds certes, mais pas aux clichés et la verve pauvre. Comme si l'humanisme des Misérables s'était dilué dans la démonstration de force un peu vaine de Bac Nord. En somme, les moyens ont eu raison de la fin. Romain Gavras déplace des montagnes mais accouche d'une souris.