Décidément notre Gérard aime les rendez-vous avec Simenon. Récemment on le voyait incarner un Maigret plus épais que nature sous la houlette de Patrice Leconte, aujourd’hui on le retrouve dans la peau d’un autre Jules, pur produit de l’imagination simenonienne, puisque Jean-Loup Dabadie – paix à son âme ! – avait concocté une adaptation scénaristique des « Volets verts » que Jean Becker n’avait plus dès lors qu’à mettre en scène.
Jean Becker, on le connaît : cinéaste « pépère », il a du métier, c’est certain, mais il demeure un ferme partisan du bon vieux cinéma à la française. Il sait assurément s’entourer du meilleur monde : Yves Angelo pour l’image, c’est un plaisir pour l’œil assuré. Côté acteurs, il sait faire son choix : Depardieu est irrésistible, tout le monde le sait ; Fanny Ardant a du charme même si elle en abuse parfois ; Benoît Poelvoorde est un des plus grands acteurs du moment – qu’on se le dise et se le répète !
Depardieu « est » donc, comme disent les Américains, ce Jules Maugin, comédien et acteur de grande renommée, amateur de femmes et d’alcools, dont tout un chacun connaît les frasques qui ne font qu’entourer sa légende. Oui, mais Jules ne va pas bien : les excès, voyez-vous, en sont la cause… Le cœur est faible et Jules réalise qu’il a sans doute manqué l’essentiel : à force de plaisirs, il s’est réduit à la solitude et plus que jamais il ressemble à l’albatros que « ses ailes de géant empêchent de marcher ».
Faute d’un amour partagé – il éprouve vis-à-vis de sa partenaire sur les planches (Fanny Ardant, bien sûr) un amour de soupirant éconduit qui fait songer à ce Cyrano que Depardieu a incarné voilà plus de trente ans –, il se tourne vers cette valeur qu’il apprécie auprès de Félix (Benoît Poelvoorde) et qui a pour nom l’amitié. Et surtout il va faire l’expérience d’une sorte de paternité un peu trouble en « adoptant » une jeune Antillaise qui lui donne un nouveau souffle – forcément elle a le rôle de la souffleuse au théâtre et c’est elle qui le dépanne lorsqu’il connaît la pire des angoisses pour un comédien, le « trou ».
Le film relate donc une fin de vie. Une fois de plus, Gérard Depardieu se trouve confronté à une remise en question avant l’ultime pas. Il y a du tragique dans ce film, mais aussi du comique (de beaux échanges verbaux avec « Félix Poelvoorde »). Du reste, c’est une véritable panoplie des talents innombrables de Depardieu qui nous est présentée : c’en est parfois un peu abrutissant.
Jean Becker a signé là un film qui rend bien compte de son talent, mais aussi de ses limites. Et peut-être que la faute en incombe à un scénario, revisité après le décès de Jean-Loup Dabadie, qui multiplie les clins d’œil à un public qui a soif de romanesque un peu facile. Une chose est sûre : Jean Becker aime à la folie les acteurs et actrices qu’il dirige et sans doute que la réciproque s’exerce vis-à-vis d’un cinéaste qui a su compter sur les talents des uns et des autres, quitte par moments à provoquer la surprise.
Cette fois, la surprise a le visage d’une jeune femme, Stéfi Celma, qui apporte au film une fraîcheur et une grâce dont il avait besoin. Et surtout il lui communique le souffle irremplaçable de la jeunesse.