Je l’avais dit lors de la sortie de son premier long-métrage, « Girl » ; Lukas Dhont est un jeune cinéaste surestimé et terriblement conformiste.
Je suis heureux de voir qu’avec « Close », son deuxième, j’avais d’autant plus raison que toujours personne n’est de mon avis. Ni le public, très touché par le thème du deuil et de la résilience joué par un petit blond mignonnet et bien dirigé, ni le jury de Cannes qui, décidément, s’est joliment planté cette année. Résultat des courses, Grand Prix et belle vie en salle pour le film (tant mieux pour son auteur, bien entendu).
Ce que je voulais dire, déjà à l’époque, n’avait rien à voir avec l’envie de refuser à ce jeune cinéaste son talent - ses deux films n’ont rien de mal, fondamentalement, et ils sont dans les clous, cochant les bonnes cases avec les bons mots et le bon fonds. Mais plutôt, c’est cette dimension si scolaire, si pâle, si réservée, qui ne pouvait aboutir à autre chose qu’à « Close », qui est un gros téléfilm sans style ni regard.
Le concept de cinéma que semble établir petit à petit Lukas Dhont serait celui d’un entre-lignes, de petites touches, de regards et de non-dits venant remplir des personnages en quête d’émotions - c’est-à-dire, le spectateur lui-même. A vouloir faire pleurer en étant du bon côté de la morale, Dhont crée l’exploit de faire regretter le pas de côté, l’inattendu, la cruauté même. Le ton est uniforme, aux antipodes justement des émotions que le film entend révéler et faire dialoguer. On dirait un film de jeune psy prudent, qui espère faire le bien sur terre, quand bien même « Close » est le récit d’un chemin de croix dont le spectateur ne saura que faire - ni où se mettre, en face de ce que cela raconte. Cette histoire d’amitié et de potentiel désir, subitement arraché par le destin (!), ne nous demande pas ce que nous en pensons. Dhont empêche toute grille de lecture sociologique ou psychologique (ce qui n’est pas la moindre de ses qualités), mais nous dit quoi penser, quoi ne pas penser, quoi ressentir et quoi espérer. C’est un film tout tracé, sans idées, sans entraves (soudain, le culot lyrique d’un Xavier Dolan nous manque), un film qui dirige son spectateur en braille. Mais cette attention obsessionnelle à ne jamais déplaire, outre qu’elle soulève une forte suspicion sur la nature même du cinéma de Dhont, finit par désamorcer tout enjeu émotionnel.
A force de pincettes, à force d’être à la bonne hauteur, à la bonne lumière, à l’écoute, de fleur de peau le film devient pot de fleur : c’est-à-dire une sorte de jolie jardinière de grande distribution où l’on distille quelques rares parfums, souvent mièvres, contrôlés sous cloche pour provoquer ‘’quelque chose’’ en toute assurance.
C’est ce qui donne au film son aspect décoratif (en fait l’antithèse du cinéma ; pardon au jury), tentant vainement de filmer des choses profondes et délicates - l’enfance qui découvre la tragédie de la vie, l’incommunicabilité, les traces que l’on porte pour toujours, l’absolution - le tout avec des enfants qui courent dans des champs de fleurs et une bande-son cheap. Ce n’est pas la peine de vous dire que quand le drame se noue, il ne manque pas de pleuvoir.
Les deux mères, Léa Drucker et Emilie Dequenne, font ce qu’elles peuvent étant donné la sur-écriture de leurs personnages et de leurs dialogues. La pauvreté de la mise en scène, elle, se révèle peu à peu après quelques jolis plans de course en steadycam dans les prés bourgeonnants : une tentative de dialogue avec un verre d’eau pousse l’absence de créativité et de spontanéité de son auteur dans les retranchements : fantasme d’un cinéma à la fois réaliste (au plus près de ses sujets) et hautement symbolique. Il faut voir la culmination du pardon entre la mère et l’ami de son fils dans la forêt, en vêtements de sage-femme, pour se rendre compte que, définitivement, Dhont n’est pas un jeune surdoué du cinéma européen, mais plutôt la part symptômatique d’un certain cinéma d’auteur pour festival, abandonnant la charge émotionnelle à un programme en pointillé, savemment dosé et facilement récompensable.
Maintenant qu’il a rangé sa chambre par deux fois, on attend de Dhont qu’il la mette en désordre. Ce par quoi les grands cinéastes ont toujours commencé.