Mehdi Hmili porte ce projet, qui raconte un peu l'histoire de sa famille, depuis de longues années. Le réalisateur a écrit le scénario en sortant de son école de cinéma, à Paris. Mais rentrer en Tunisie pour le réaliser n’était pas évident compte tenu du contexte politique et social du pays (la fin des années Ben Ali, juste avant la Révolution) :
"J’ai donc laissé le projet de côté et fait un autre film, Thala mon amour (2016) qui raconte le destin de deux amants, cherchant à se retrouver. Juste après ce film, je me suis lancé dans la réalisation d’Amel & les fauves. Ce projet m’est si personnel, sans toutefois être autobiographique, que j’avais besoin de le produire moi-même", confie-t-il.
"Je suis donc devenu producteur pour avoir un contrôle sur le film. J’ai commencé à le développer à partir de 2015-2016 puis j’ai rencontré Afef Ben Mahmoud qui allait jouer le rôle de ma mère et nous avons commencé à tourner fin 2019."
Streams, le titre original, fait référence aux torrents d'amour et de haine que les personnages traversent tout au long du film et dont le mouvement ne s’arrête jamais : "Le titre est aussi un hommage à John Cassavetes et à son film Love Streams. Cet auteur a autant changé ma vision du cinéma que de la vie. En 2007, j’ai découvert Opening Night à la cinémathèque française et je me suis dit que je voulais faire des films aussi extrêmes et puissants sur des individus, tout en filmant aussi précisément leurs visages", précise Mehdi Hmili.
Pour incarner Amel, Mehdi Hmili a choisi Afef Ben Mahmoud, qu'il connaît depuis longtemps. Il avait produit Aya (2017), dans lequel la comédienne joue la mère, et qui a remporté plusieurs prix. Le metteur en scène se rappelle : "Je lui ai donné le scénario d’Amel & les fauves à lire en 2016."
"Elle l’a lu dans l’avion, en rentrant au Qatar où elle vit dorénavant. Quand elle est arrivée, elle était en larmes. Elle m’a appelé en disant qu’elle était Amel. Nous avons développé le film ensemble car Afef est très brillante. Elle est productrice comme moi, actrice et réalisatrice et elle connaît très bien le cinéma."
"Pour Afef qui est très féministe, voir son personnage souffrir était compliqué. Nous avons décidé de ne répéter aucune scène du film, y compris quand elle donne la réplique aux autres comédiens. Nous étions très conscients du risque que nous prenions. Nous voulions faire le film au jour le jour."
Une femme mariée, surprise en compagnie d’un homme, dans un espace clos, peut aller en prison pour adultère : "Pas besoin de faire un rapport médical. Une femme accusée d’adultère et de prostitution encourt jusqu’à 5 ans de prison. Si le mari ne poursuit pas sa femme en justice, elle prend 6 mois. J’ai tenu à rester du point de vue de Moumen."
"En conséquence, je n’ai pas montré que le père tire sa femme d’affaire. S’il disparaît ensuite, c’est parce qu’il abandonne sa famille. Quand le film est sorti en Tunisie, il y a eu des débats avec des associations sur cette loi. Le pouvoir en place a dit qu’il réfléchirait à cette législation, mais il n’y a pas de changements malheureusement", explique Mehdi Hmili.
Amel & les fauves a été censuré dans le monde arabe sauf en Tunisie. Mehdi Hmili a également dû couper les scènes de prostitution ou avec les travestis. Le cinéaste note : "Mon rôle et mon devoir est de filmer ces marginaux, car j’en faisais partie. J’ai filmé ma douleur et ces personnes magnifiques que j’ai connues. Ma vie ressemblait à cela mais je suis revenu de cette folie pour témoigner et montrer cette violence, cette amitié. Montrer qu’il y a de l’amour, de la tendresse dans ce monde-là."
Amel et Moumen évoluent tous les deux dans le milieu interlope de la nuit. Mehdi Hmili a lui-même vécu dans ce milieu, tout comme sa mère à sa sortie de prison. Le metteur en scène développe : "Ce monde absorbe et protège tous ces gens-là. Amel évolue dans un cabaret quand Moumen fréquente un milieu plus berlinois, baigné de musique techno et de drogues dures."
"Je voulais montrer également le fossé entre deux générations qui ne se comprennent pas, car elles évoluent dans des mondes différents. Amel appartient à cette génération qui a vécu sous Ben Ali. Je voulais faire ce parallèle entre deux mondes qui changent et qui n’arrivent pas à se rencontrer, parce qu’un écart s’est créé. Mais la nuit va rapprocher Amel et son fils, grâce à Djo."
Avec Amel & les fauves, Mehdi Hmili a voulu représenter des thématiques (tabous pour la société tunisienne) comme la prostitution, la drogue et le travestissement. Il explique pour quelle raison : "Parce que cette société évolue. Je veux montrer ces marginaux à qui elle ne donne pas le droit d’être dans la lumière."
"La corruption est tellement ancrée dans les institutions que les gens qui ont de l’argent s’en tirent facilement. Une ouvrière qui se fait agresser paie le prix fort, tandis que l’homme écope d’une simple amende. Le tabou est là pour moi, dans la manière dont on fabrique l’injustice et dont on détruit des familles."
"Il y a trois ans, un jeune travesti s’est fait violer par deux flics à Tunis, ce qui a conduit à son suicide. Il s’est jeté d’une falaise. Je voulais lui rendre hommage à la fin de mon film, à travers le personnage de Brahim. La jeunesse qui appartient à la communauté LGBTQ part, car elle ne peut pas vivre dans une telle société."
Iheb Bouyahia, qui incarne Moumen, fait ses débuts au cinéma. Mehdi Hmili était passé à la radio pour annoncer le casting du film. Il a rencontré entre 400 et 500 comédiens et avait besoin de quelqu’un de très jeune pour ce personnage. Iheb s’est alors présenté. Le réalisateur se souvient :
"Je ne l’aimais pas du tout, mais mon assistant m’a dit que c’est parce qu’il me rappelait ma jeunesse. Je lui ai donné une chance et me suis rendu compte que nous avions vécu des choses très similaires. Nous venons du même milieu social", confie le réalisateur. Il poursuit :
"Il a eu des problèmes avec sa mère, a quitté la maison et a vécu dans la rue. On a bossé pendant un an ensemble. Nous avons même répété des scènes qui n’’existaient pas dans le scénario. Nous avons tourné à Tunis dans le quartier HLM où j’ai grandi."
"On partait répéter là-bas. Ma mère a déménagé depuis pour une maison, non loin de la cité. Un jour où je lui rendais visite, j’ai vu Iheb de loin. Il était là, à fumer avec les gamins du quartier. Je lui ai demandé ce qu’il faisait là et il m’a dit qu’il travaillait son personnage."
"Je lui ai dit qu’il allait se faire arrêter, alors que le tournage était prévu deux mois plus tard. Dans cette cité, il y a beaucoup de descentes de police, à cause du trafic de drogue. J’ai appris par la suite que Iheb avait même été impliqué dans des rixes."
"Son idole est Daniel Day Lewis et il applique la même méthode que lui, c’est-à-dire qu’il devient le personnage. Jouer une scène de prostitution masculine n’était pas évident, surtout en Tunisie et je salue son courage. Il a une gueule d’ange. On dit que c’est le Timothée Chalamet tunisien !"
Le film a été sélectionné dans les festivals suivants :
-Locarno Film Festival (première mondiale)
-Zurich Film Festival
-Festival International du Film Francophone de Namur
-Mostra de València – Cinema del Mediterrani
-CINEMED - Festival International du Cinéma Méditerranéen Montpellier
-Französische Filmtage Tübingen Stuttgart
-Festival International du Film du Caire : Prix de la Meilleure Interprétation Féminine
-Festival du Film Arabe de Fameck
-Cinemamed - Festival Cinéma Méditerranéen de Bruxelles
-El Ícaro Festival Internacional de Cine en Centroamérica
-Kolkata International Film Festival : Prix Spécial du Jury
-Arab Film Days (Oslo)
-Festival International de Cinéma Vues d’Afrique : Prix de la Meilleure Actrice et Prix du Meilleur Acteur
-ALFILM Festival Berlin
-Institut Lumière - Festival Cinéma du Sud
-Malmö Arab Film Festival : Prix du Meilleur Réalisateur
-Sguardi Altrove Film Festival
-Durban International Film Festival
-FEST - New Directors New Films Festival
-The Amman International Film Festival
-African Diaspora International Film Festival (New York)
-Tripoli Film Festival
-Alyssa Film Festival (Londres)