Le film du réalisateur allemand Ilker Catak aurait pu passer un soir à la TV sur ARTE . Mais ça aurait été dommage que ce film ne connaisse pas le grand écran car c’est à jour un des meilleurs que j’ai vu en 2024. Le film, qui ne dure que 1h40, semble plus long, non pas parce qu’on s’y ennuie, mais parce que la pression qui enserre, scènes après scènes, la jeune professeur de mathématique devint tellement étouffante qu’on a l’impression que les minutes s’étirent en longueur. Le film part pied au plancher et débute par une scène qui met d’emblée assez mal à l’aise :
des collégiens sont mis sous pression pour dénoncer un camarade qui aurait « une attitude inhabituelle » ou « un nouveau portable », et cela finit par tomber sur … Ali, d’origine étrangère.
Immédiatement, on a compris qu’on a mis le pied dans un panier de crabe. Utilisant une musique tout simple (un tempo électronique, toujours le même, dans les moments de tension), une réalisation très sobre, presque scolaire (film cadré 4/3 comme sur une vieille TV), le réalisateur prends le parti de ne jamais sortir de l’enceinte du collège,
sauf juste une fois, dans une scène de grande tension
. Mais la jeune Carla Nowak, on ne la verra jamais à l’extérieur s’épancher sur ses problème, ni la personne rapidement confondu comme le voleur : on reste obstinément dans le petit monde clos du collège ce qui accentue, de facto, l’impression de « cocotte-minute ». C’est la comédienne Léonie Benesh qui donne corps de façon très sobre et très juste cette professeur de mathématique et de sport (c’est apparemment possible en Allemagne) qui se retrouve piégée
par sa bonne volonté et ses sentiments altruistes dans un monde qui ne supporte plus la nuance et la retenue. Elle veut toujours défendre tout le monde, tente systématiquement de parlementer, de jouer les médiatrices, de tempérer les emportements et au bout d’un moment, on a envi e de la secouer pour lui faire comprendre que cela va surtout avoir pour effet de voir tout le monde concentrer sur elle sa rancœur.
Le scénario, qui pourrait s’apparenter à un engrenage infernal, nous emmène au bord du gouffre. On a l’impression qu’on pourrait basculer dans le drame absolu à tout moment. Heureusement, on est en Allemagne et pas aux USA , sinon on aurait pu craindre de voir une arme sortir d’un sac ou d’un cartable ! « La Salle des Profs » apporte des éléments de réflexions sur un monde éducatif qui est à l’image de la société. Non, la salle de classe et la salle des profs ne sont pas des « sanctuaires » ou des « cocons »,
dans les collèges on pratique la délation, on transforme les victimes en coupables et les coupables en victimes, on se ligue contre les plus faibles. Les jeunes élèves ne sont pas en reste, j’en veux pour exemple ces apprentis journalistes qui se prennent pour Bob Woodward et Carl Bernstein et qui manipulent des notions trop grandes pour eux, comme la liberté de la presse, la liberté d’expression, l’investigation, notions qu’à l’évidence ils sont trop jeunes pour parfaitement comprendre. Ce qui est édifiant dans ce film, c’est la facilité avec laquelle une jeune femme pleine d’altruisme, victime d’un vol, se retrouve en en position de coupable. Et en miroir, l’aplomb avec lequel (ou la) coupable, loin de faire amende honorable et toute honte bue, se pose en victime.
C’est toute la problématique de la société d’aujourd’hui qui s’illustre ici, ce qui se joue dans ce collège allemand n’est pas si éloigné de ce que ce joue au Congrès américain, par exemple.
Au milieu de cet affrontement il y a un jeune élève un gamin très doué à laquelle cette histoire de quelques euros va causer un tort considérable, on en est désolée pour lui.
« La Salle des Profs » est un film sans prétention dans sa forme, que certains trouverons peut-être indigne d’une salle de cinéma. Mais sur le fond, c’est un film fort, dérangeant et qui éclaire d’une lumière crue des problématiques qui vont bien au-delà d’une simple salle de classe.