Club Zero s’attache à des parents qui délèguent leur responsabilité vis-à-vis de leurs enfants à une enseignante qui dévoie cette relation de confiance : "Mlle Novak manipule les enfants et les sépare de leurs parents. Lorsque ces derniers décident de sauver leurs enfants, il est déjà trop tard. Club Zero aborde cette peur existentielle et soulève la question suivante : Comment des parents peuvent-ils veiller sur leurs enfants quand ils n’ont tout simplement pas de temps à leur consacrer ?"
"Cette problématique n’est pas propre à un individu en particulier, mais elle concerne la société tout entière : les événements dépeints dans le film pourraient m’arriver, à moi, aussi bien qu’à vous. Les parents ne savent pas tout ce qui se passe à l’école et n’ont pas le temps, ou les moyens, de le savoir. Nous vivons dans un système reposant sur la méritocratie qui nous oblige à travailler de plus en plus. J’ai le sentiment que l’échec des parents est systémique", explique la réalisatrice Jessica Hausner.
Club Zero se déroule dans un internat. Ainsi, Jessica Hausner a voulu mettre l’accent sur le fait que les parents dépendent des enseignants : "Dans notre société, l’enseignement est souvent mal payé et insuffisamment valorisé, alors qu’il devrait s’agir d’un métier extrêmement respecté et bien rémunéré. Les parents devraient-ils faire totalement confiance aux enseignants ou devraient-ils assumer davantage de responsabilité ?"
"Et comment cela est-il possible dans une société qui repose sur le travail et la réussite ? Ce qui m’intéresse, c’est la manière dont notre société délègue ce type de responsabilité. Comme le dit Mlle Dorset, la directrice de l’école du film, « Les parents n’ont pas de temps à consacrer à leurs enfants, si bien qu’il est de notre responsabilité de leur donner l’attention et l’affection dont ils ont besoin", développe la cinéaste.
Jessica Hausner a fréquenté une école catholique pour filles dans les années 1980, dans laquelle beaucoup d’élèves étaient acquises à l’idée de très peu s’alimenter : "C’était même une forme de rivalité entre nous. On se contentait de mâcher des chewing-gums sans sucre et on était dégoûtées par une des filles qui mangeait un sandwich aux oeufs pendant la pause. En secret, on l’admirait parce qu’elle se moquait de ce qu’on pensait d’elle. C’étaient là des rapports intéressants."
"Il s’agissait d’un sentiment d’appartenance et de la volonté de fixer certaines règles auxquelles il fallait se soumettre. Ces relations sont aussi présentes dans Club Zero. Ben, par exemple, est comme la fille qui mange un sandwich aux oeufs mais son désir d’appartenance est si fort qu’il décide d’intégrer le groupe. Il existe une mentalité de meute dont il est difficile de se défaire. À cette époque, une amie à moi est devenue anorexique et elle passait parfois plusieurs semaines à l’hôpital."
"C’est ce qui m’a fait prendre conscience de la gravité de cette maladie", se rappelle Jessica Hausner.
La volonté de contrôler l’alimentation a toujours fait partie intégrante de la religion. Jessica Hausner note : "Je crois que c’est lié au fait qu’en jeûnant, on glisse dans un état d’euphorie qui favorise l’éveil spirituel. On peut avoir un impact sur son esprit en modifiant la quantité de nourriture que l’on consomme. En outre, contrôler ce que l’on mange sous-entend que l’on contrôle son corps. Cela conforte un sentiment de puissance et renforce l’impression qu’on est 'à part'. S’alimenter est un acte à la fois très personnel et très social."
"Imaginez que vous retrouviez des amis pour dîner et que vous ne mangiez pas. Ils pourraient se sentir agressés et agacés. Pourquoi ? Parce que cela revient à remettre en cause leur mode de vie. Nous croyons tous en quelque chose. Chacun d’entre nous appartient à un groupe qui obéit à certains principes ou codes. Il nous faut comprendre la subjectivité de nos convictions pour comprendre comment Mlle Novak et les élèves sont convaincus des leurs. Leur 'religion de l’alimentation' est un exemple de croyance radicale."
Jessica Hausner a voulu faire en sorte que le spectateur ne sache pas précisément à quelle époque et dans quel endroit se déroule le film. Elle précise : "L’anglais a été utilisé comme langue universelle des internats et comme langage cinématographique universel. Il y a une certaine forme d’absurdité propre à notre existence : quand on prend un peu de recul, beaucoup de choses auxquelles nous croyons et que nous faisons semblent ridicules, absurdes ou futiles. Dans mes films, je cherche toujours un point de vue distancié pour réfléchir à cette question. Club Zero est raconté à travers ce prisme : l’exagération qui confine à l’absurde offre un regard amusé sur les thèmes sombres du film."
Mlle Novak et les jeunes de Club Zero bousculent ce qui est considéré comme juste et ont leur propre conception de la vérité. Jessica Hausner s'est ainsi beaucoup inspirée du Joueur de flûte de Hamelin et de certains contes russes qui livrent une morale radicalement différente des contes de fée européens :
"Quand on s’inspire d’un conte de fée, on a une approche plus distanciée, un point de vue plus général : les détails psychologiques ou sociaux sont relégués à l’arrière-plan pour raconter une histoire plus universelle. Les personnages évoquent davantage des archétypes que des êtres humains."
Jessica Hausner a voulu qu'il y ait, dans Club Zero, des costumes colorés et audacieux : "Il y a une forme d’excès humoristique dans Club Zero. On remarque soudain quelques détails, comme une fleur sur un chemisier, et cela vous amène à réfléchir à vos choix artistiques. Je trouve cela intéressant car c’est une manière de préserver la capacité de réflexion du spectateur. J’aime qu’un film laisse des zones d’incertitude et permette au spectateur de se faire sa propre idée. C’est ce qui, entre autres, suscite du plaisir dans la découverte d’un film."
Jessica Hausner a rarement fait appel à de la musique dans ses précédents films. La cinéaste n'a en effet utilisé que de la musique diégétique, autrement dit de la musique que les personnages entendent : "Une règle fondamentale du cinéma d’auteur le plus radical. Dans Little Joe, c’était la première fois que j’utilisais une musique préexistante – signée Teiji Ito – pour une bande-originale. La musique n’était pas là pour ponctuer ou amplifier les émotions, mais servait de contrepoint à l’histoire que je trouvais intéressant."
"Dans Club Zero, la musique a été spécifiquement composée pour le film. Elle est censée mettre en valeur le rythme soutenu de l’action pour montrer que les événements se succèdent inévitablement les uns aux autres. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi le tambour. J’ai parlé de musique sacrée avec le compositeur Markus Binder. Il s’est inspiré des tambours africains et asiatiques traditionnels et a créé une sonorité qui lui est propre. Il y a incontestablement une dimension religieuse dans ces sons de tambour."