Aujourd’hui, ce qui interpelle quand on regarde "Adieu poulet", c’est la grande quantité de noms bien connus qui sont énumérés à l’occasion du générique de début. Pierre Granier-Deferre à la baguette, Francis Veber au scénario, Philippe Sarde à la musique, Jean Ravel au montage, Alexandre Mnouchkine à la production, et ce n’est pas tout. Regardez donc du côté de la distribution : Lino Ventura, Patrick Dewaere, Victor Lanoux, Julien Guiomar, Pierre Tornade, Claude Brosset, Claude Rich et même une courte apparition de Valérie Mairesse avec sa voix unique. Mais parmi tous ces grands noms, ne trouvez-vous pas qu’il en manque un ? Mmm ? Celui de Michel Audiard par exemple… non ? Eh bien je serai tenté de dire que le célèbre dialoguiste n’est effectivement pas le grand absent de cette production. Pourquoi ? Parce qu’on a tout de même de bonnes répliques, la plupart étant prononcées par les deux acteurs vedettes. Du genre « tu t’es recyclé ? » en s’adressant à Michel Peyrelon dans le rôle de Roger, frère du suspect poursuivi. Les poubelles… recyclé… pour sûr qu’aujourd’hui cette réplique a une saveur supplémentaire synonyme de double sens. Du genre aussi quand il est expliqué où on trouve les indics… Le fait est qu’avec des acteurs comme Lino Ventura et Patrick Dewaere qui n’ont pas leur langue dans la poche, les services de Michel Audiard n’avaient pas forcément besoin d’être requis. D’ailleurs l’entente entre les deux acteurs est évidente dès le départ. Il n’y a qu’à voir comment ils se regardent ! Ils sont pourtant si différents. L’un est plus vieux, plus posé, mais se laisse parfois déborder par une sourde colère, et le spectateur est même gratifié de la fameuse et formidable baffe venturienne. L’autre est plus jeune, plus insouciant (quoique ici…), plus volubile, plus survolté, moins encombré de manières. Comme toujours, Patrick Dewaere s’investit à fond et met une énergie folle dans son personnage pour en faire un électron libre (ou presque). Toujours est-il que les deux hommes sont réunis pour former un duo que Francis Veber a imaginé en créateur du buddy movie. Et déjà dans leurs échanges, on sent la patte du scénariste par des répliques pas loin d’être cultes. Quoiqu'il en soit, les deux acteurs s'entendent à merveille, l'un au travers de son rôle cachant mal l'admiration quasi pudique qu'il a envers son équipier expérimenté, qu'on pourrait voir comme une symbolique du passage de témoin en tant qu'acteurs. Sous la direction de Pierre Granier-Deferre, les deux personnages principaux se laissent engloutir dans une enquête qui vire au polar politique. Les pressions, les magouilles et la corruption sont mises sur le devant de la scène dans cette enquête où il faut composer avec les convenances politiquement correctes sous peine d’être envoyé ailleurs. D’où le titre. "Adieu poulet" a beau avoir été tourné en 1975, force est de reconnaître que plus de quarante ans plus tard rien n’a véritablement changé malgré les piques corrosives distillées. Comme quoi le pouvoir ouvre bien des perspectives… Lino Ventura est parfaitement crédible en flic intègre qui sait qu’il ne craint plus grand-chose. Et en bon flic intègre, il met tout son honneur à mener une enquête somme toute casse-pipe jusqu’au point final, quitte à prendre des risques (calculés) à piéger sa (ses) cible(s) dans son (leur) propre jeu. C’est parfois savoureux, en particulier lors de l’usage du haut-parleur. Rien n’est surfait, aussi on croit aisément au récit qui nous est proposé. Sans compter que ça fait plaisir de revoir deux monstres sacrés du cinéma hexagonal ! Et ce qui fait plaisir, c’est de voir aussi toute cette belle collection de tout ce qui a fait les beaux jours de l’industrie automobile française : des R16, des DS, des 2CV fourgonnette, des 404, des dauphines, des 504 et j’en passe… de quoi faire blêmir d’envie tous les collectionneurs nostalgiques. Aussi, le spectateur n’a aucun mal à se plonger au cœur des années 70, du temps où Giscard était Président de la République et dont on apercevra le portrait. Alors on pourrait s’attendre à un film qui a pris un coup de vieux. Même pas : comme dit un peu plus tôt, rien n’a été surfait, mis à part peut-être la scène du brancard que je trouve un peu ridicule. Le jeu des acteurs correspond à la vie bien réelle en mettant en scène des personnages à la psychologie très différente les unes des autres. Une sorte de sobriété en quelque sorte. La sobriété est surtout dans la réalisation. Là non plus, il n’y a rien de surfait. Mieux : le timing est très bon entre les coups de feu et l’impact des balles. Mais avant de découvrir ou de redécouvrir ce long métrage, on pourrait s’attendre au coup de vieux dans l’image. Même pas ! Et pour cause, ce film a été restauré en 4K. Alors certes ce n’est pas le film du siècle, mais il reste néanmoins un polar de très bonne facture, sans compter que c’est toujours un plaisir de revoir les regrettés Ventura et Dewaere. Et en plus, ça se termine sur un joli pied-de-nez absolument jouissif, assez inattendu quoique conforme à la psychologie du commissaire Verjeat, qui a décidément plus d’un tour dans son sac.