Le Tigre et le Président revient sur l’élection de Paul Deschanel en 1920, qui remporte les Présidentielles face au favori Georges Clemenceau. Victime d'un état anxio-dépressif et du syndrome d'Elpénor, il fait une chute de train nocturne en mai 1920. Suite aux nombreuses rumeurs qui circulent à son sujet et en raison de sa santé déclinante, Deschanel démissionne en septembre de l’Élysée.
Le film annonce dès le début qu’il s’inspire de faits réels et le réalisateur assume avoir imaginé certains éléments du film : “Nous nous inscrivons dans la grande tradition du « roman historique », qui, selon sa définition, « prend pour toile de fond un épisode (parfois majeur) de l’Histoire, auquel il mêle généralement des événements et des personnages réels et fictifs »”. Le plus bel exemple de fiction historique au cinéma selon Jean-Marc Peyrefitte est Amadeus de Milos Forman. “Le thème de la réalité et de son détournement plus ou moins volontaire fait également partie de cette histoire. Dans les trois biographies existantes de Paul Deschanel, il arrive qu’il y ait autant de versions d’un même événement [...]”. Les éléments de fiction ont notamment été ajoutés pour renforcer la rivalité entre Deschanel et Clemenceau. Par exemple, la scène de conseil des ministres où Deschanel congédie un membre de son gouvernement est fictive, tout comme celle où Clemenceau conseille le Véronal à Germaine Deschanel.
Le Tigre et le Président est le premier long-métrage de Jean-Marc Peyrefitte. Peu de gens croyaient en son projet : “On me répétait qu’il valait mieux ne pas m’acharner à consacrer un premier film à un sujet historique, qui plus est celui-ci !”
Passionné par l’Histoire de France, Jean-Marc Peyrefitte entretient un rapport privilégié avec Paul Deschanel car ses parents lui parlaient souvent de cet homme politique méconnu “qui avait tout raté, alors qu’il était plein de belles promesses. J’aimais cette notion de perdant magnifique et j’avais envie de confronter cet être évanescent, insaisissable, en avance sur son temps et un peu fragile, à Clemenceau, homme viril et fort, qui, lui, a marqué l’Histoire.”
Trois biographies ont été consacrées à Paul Deschanel. Le réalisateur s’est appuyé principalement sur celle de Thierry Billard, écrite dans les années 80 car “elle le valorisait, contrairement à celle des années 30 qui le fustigeait.” Le réalisateur a aussi acheté l’intégrale de ses discours, qui font près de six mille pages, et a écouté à la BNF les enregistrements numérisés de ses discours.
Les théories les plus folles ont couru sur la chute de Deschanel du train. Le réalisateur a choisi de s’appuyer sur une thèse du psychiatre Gérard Milleret qui soutient ce qu’aucune biographie n’a jamais suggéré sur Paul Deschanel : il aurait pris du Véronal, première molécule de barbiturique, qu’on lui a conseillé après son élection, mais qui a été interdit six mois plus tard. “D’après le Dr. Milleret, le médicament lui procurait des « réveils confuso-oniriques » – autrement dit somnambuliques – et il aurait donc été dans un état de somnambulisme avancé lorsqu’il s’est éjecté du train. D’autres parlent d’un accident, voire d’une tentative de suicide.”
Ses recherches effectuées, le réalisateur a été rejoint par le scénariste Marc Syrigas, qui a été engagé par les producteurs. Jean-Marc Peyrefitte salue son travail : “j’étais un peu perdu dans l’immensité de la documentation : il s’en est emparé et, en quinze jours, il a écrit un synopsis dont le film est resté assez proche, même si nous avons écrit dix-sept versions du scénario jusqu’au dernier jour de tournage ! Grâce à son appui, sa bienveillance et son talent, nous avons gardé le cap en étant sur le fil entre le drame et la comédie et en cherchant à écrire un objet assez élégant.”
Le réalisateur avait en tête Jacques Gamblin et André Dussolier dès l’écriture. Après avoir vu le premier sur scène, il a trouvé l’élégance qu’il recherchait pour Deschanel. Quant à Clemenceau, “il me fallait un acteur caméléon et puissant qui puisse restituer la force de ses dialogues incisifs. André Dussollier et sa voix se sont imposés : je lui ai parlé du projet à l’improviste à la sortie du théâtre où il jouait Novecento, il m’a répondu avec bienveillance, et trois jours après il nous disait oui.”
Pour les intérieurs de l’Élysée, l’équipe a eu accès au ministère des Affaires Étrangères et pour les extérieurs, à l’Élysée même. Les scènes du Parlement ont été tournées au Congrès de Versailles. La maison close a été filmée au Quai d’Orsay, dans les salles de bain Art déco spécialement réservées au roi et à la reine d’Angleterre quand ils sont en visite à Paris. “C’était déjà impressionnant d’avoir la chance de tourner dans les jardins de l’Élysée. Alors quand, au petit matin, nous avons tourné la scène de Deschanel qui court après les feuilles de son discours qui s’envole, j’avais les jambes qui tremblaient tellement c’était surréaliste”, se souvient le réalisateur.
Désireux d’épouser la modernité de Paul Deschanel, qui était un visionnaire en avance sur son temps, le réalisateur et le directeur de la photographie ont décidé de privilégier les plans-séquences afin de “casser le champ-contrechamp du téléfilm.” Le réalisateur détaille ses choix de mise en scène : “On a utilisé des optiques un peu originales en allant jusqu’au 9 mm, des plongées, des contre-plongées, des mouvements, pour être dans l’axe des regards. Comme on a pu tourner dans des lieux sublimes, notamment au Quai d’Orsay avec une hauteur sous plafond de 12 m, ces décors ont influencé la mise en scène : pour apercevoir le magnifique plafond et les lustres, il nous fallait du recul, et rendre toute la solitude de ce petit personnage perdu sous des plafonds trop hauts pour lui.”
Le Tigre et le Président marque les retrouvailles de Jacques Gamblin et André Dussollier depuis Les Enfants du marais en 1999.
Ce n’est pas la première fois qu’André Dussollier interprète un personnage historique, lui qui s’est déjà glissé dans la peau de Joseph Staline et de Raoul Nordling. “J’ai toujours envie de disparaître derrière le personnage et de m’approcher le plus possible de la réalité, mais je ne ressens pas de responsabilité particulière car je suis un interprète et qu’il y a eu d’autres acteurs avant moi qui ont joué Staline ou Clemenceau.”
L'équipe a retrouvé miraculeusement les 45 secondes d’un film tourné par une équipe américaine d'une interview de Goerges Clemenceau dans sa maison de Saint-Vincent-sur-Jard, en Vendée. Il s'agit de la seule archive connue où l’on entend sa voix. André Dussollier a pu s'inspirer de ces images pour son interprétation : "Il apparaît très impatient, parle sans précaution à ses interlocuteurs. Je m’en suis inspiré pour sa démarche, ses postures, et je m’en suis imprégné comme un buvard pour recréer Clemenceau. Quand on cerne bien la psychologie et la manière d’être d’un personnage, on peut le développer dans toutes les situations auxquelles il est confronté." Quant à la transformation physique, le comédien passait trois heures chaque matin entre les mains de l'équipe de maquillage avec Pierre-Olivier Persin, dit Pop, qui a créé les prothèses, accompagné par Magali Ohlmann et Vanessa Ricolleau.