Le long-métrage de Jean-Marc Peyrefitte est présenté comme une comédie alors qu’on devrait en pleurer… Personnellement je connaissais mal Paul Deschanel, je savais juste qu’il avait été un éphémère Président de l’après-guerre, réputé un peu fragile psychologiquement et, effectivement, tombé d’un train dans l’exercice de ses fonctions. Je ne sais pas si « Le Tigre et le Président » s’éloigne ou non de la réalité historique, mais le Paul Deschanel qui est présenté ici est terriblement attachant et surtout foncièrement bon et généreux. Jean-Marc Peyrefitte porte à l’écran un Président presque idéal, pétri de belles idées modernes, confiant en son pays et en le genre humain,
posant les jalons de toutes les avancées démocratiques du XXème siècle
et qui n’aura eu à faire qu’à la petitesse, la veulerie et la sournoiserie de ses contemporains. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est Deschanel le héros malheureux de ce film, Clémenceau n’étant là que pour lui savonner la planche sans vergogne, à coup de bons mots et de coups bas. Celui dont le nom est porté par bien des rues en France n’en sort pas grandit : homme du passé obsédé par un Traité de Versailles qui aura les conséquences que l’on connait, il nourrit une ambition personnelle dévorante qui n’a d’égal que sa haine farouche antiallemande. Le film présente Clémenceau comme le responsable de la folie de Deschanel,
en lui faisant prescrire un barbiturique, sachant pertinemment les effets secondaires que cela implique.
Même s’il y a beaucoup d’humour dans le film, les scènes où Deschanel semble perdre la raison, et notamment la scène des feuilles, sont tragiques et serrent même un peu la gorge. Evidemment, on est tenté de chercher dans « Le Tigre et le Président » ce que le film veut dire sur la vie politique de 2022. Quand Deschanel prétend qu’il est représentant en chapeaux et qu’il porte le chapeau depuis très longtemps, la métaphore saute aux yeux. J’imagine qu’on pourrait interpréter à loisir chaque scène à la lumière de la vie politique d’aujourd’hui : le poids de la presse, son gout pour la petite phrase, le sensationnel, le mensonge érigé en manière de gouverner (les Bolchéviques), la courte vue d’un personnel politique obsédé par l’immobilisme et l’ambition personnel, etc… Si tout n’est pas très subtil, tout est assez pertinent. Pour mettre en scène ce ballet tragi-comique, Peyrefitte a pris le parti d’un certain académisme. Lui qui met en scène un homme précurseur, qui va jusqu’à imposer le travelling pour sa première image de Président, il le fait sans trop sortir du cadre. La musique est omniprésente, pas désagréable mais pas follement originale non plus, le montage mêlant habilement les images d’archives (les vraies) avec les images d’archive (les fausses) et la réalité sont bien faites, il en use sans trop en abuser. C’est comme la voix off de Daniel Peynac, il la place au tout début et à la toute fin et c’est tout, et c’est tant mieux car c’est un procédé qui peut vite devenir désagréable si on en abuse. Il y a malgré tout chez Jean-Marc Peyrefitte un certain gout pour la chorégraphie, pas mal de scène étant, par son montage comme par la musique, filmée comme une danse, c’est charmant mais sans plus. Et puis le film n’est pas avare en symbole, parfois subtils (le lustre gigantesque du bureau présidentiel, qui prend toute la place et émet des cliquetis incessants, j’y vois la métaphore de la politique politicienne), parfois moins subtils (la prostituée Ariane que toute la classe politique lutine joyeusement, à une lettre près elle aurait été Marianne !). Il s’est adjoint les services de Jacques Gamblin pour donner corps à son Deschanel et il est parfait, très touchant, presque tragique par moment dans son idéalisme. A côté, il y a André Dussollier, un Clemenceau perfide, surement très gourmand à incarner. Pas mal de jolis seconds rôles aussi, tenus par Christian Hecq, Astrid Wettnall ou encore Anna Mougladis, certains auraient peut-être mérités d’être plus écrits comme celui de Germaine Deschanel, mais dans l’ensemble le casting est assez savoureux.
Deschanel aura eu pour la France l’ambition de la Sécurité Sociale, du vote des femmes, de l’abolition de la peine de mort, du système de retraite par mutualisation, du revenu universel, tout cela avec 20, 30, 80 ou même 100 ans d’avance sur son temps (par contre pour les boulangers-fonctionnaires on attend toujours !),
quand bien même le film de Peyrefitte serait très indulgent et un peu complaisant avec ce personnage historique, lui rendre un peu de ce que la mémoire collective lui a volé, c’est un peu lui rendre justice.