Le perdant magnifique
Pour son 1er film, Jean-Marc Peyrefitte s’est lancé dans le genre délicat de la comédie historique. Sa comédie annonce dès le début qu’elle s’inspire de faits réels et le réalisateur assume avoir imaginé certains éléments du film… Le moins qu’on puisse en dire, c’est que pendant 98 minutes, il ne s’en est pas privé. 1920, les années folles. Georges Clemenceau vient de perdre l’élection présidentielle face à l'inconnu Paul Deschanel, un idéaliste qui veut changer le pays. Mais un soir ce dernier tombe d'un train et se volatilise. Au petit matin, la France cherche son président, une occasion en or pour le Tigre Clemenceau… Dans la tradition du roman historique, ce film tient parfaitement la route sauf, sans doute, pour les historiens pointilleux qui trouveront beaucoup à redire. Je suis comme vous, je connais mal Paul Deschanel et ça m’a plu d’en savoir un peu plus sur ce politicien hors du commun et dont l’histoire, – même très modifiée -, vaut le détour. Voilà qui est fait.
Lors de ses obsèques, on a pu entendre dans l’oraison funèbre : Il fut une des grandes voix de la patrie. […] Hélas ! Il s'est endormi sur un rêve inachevé, frappé par un destin tragique. D’après ce scénario, Deschanel, - figure des républicains modérés, partisan d'une troisième voie entre libéralisme économique et socialisme… c’est vous dire la complexité du bonhomme -, avait une obsession qui l’a miné nuit et jour durant son bref séjour à l’Elysée, écrire et prononcé un discours révolutionnaire qui ferait chanceler la France sur ses bases… C’est un des moteurs du film, même si, en l’occurrence c’est totalement imaginé. Autre pôle central de cette comédie, sa chute rocambolesque d’un train de nuit. Là encore, Jean-Marc Peyrefitte tord le cou à la réalité. L’anecdote est ici étirée – trop d’ailleurs – pour apporter une touche bucolique et poétique au personnage. En vérité, moins de 24 heures après sa chute, il présidait le conseil des ministres… Mais le ver était dans le fruit et ses opposants auront vite fait de faire courir des rumeurs sur la santé mentale chancelante du Président. Les dialogues sont somptueux, la reconstitution plus que soignée… Pour les détails, jugez plutôt : Pour les intérieurs de l’Élysée, l’équipe a eu accès au ministère des Affaires Étrangères et pour les extérieurs, à l’Élysée même. Les scènes du Parlement ont été tournées au Congrès de Versailles. La maison close a été filmée au Quai d’Orsay, dans les salles de bain Art déco spécialement réservées au roi et à la reine d’Angleterre quand ils sont en visite à Paris… Quel luxe pour cette comédie politique euphorisante !
Côté casting, là aussi, c’est luxueux. Un régal que de voir s’affronter Jacques Gamblin et André Dussollier… du grand art. Mais je ne saurais passer sous silence les performances de Christian Hecq dans la peau de l’insupportable Millerand et d’Anna Mouglalis en pute au grand cœur. Deschanel était un visionnaire en avance sur son temps. Clemenceau, un manipulateur plus préoccupé de l’image qu’il laisserait dans l’Histoire que du bien de la France. D’aucuns ont dit que la fin de la vie de Deschanel appartenait à la tragédie antique ou à la dramaturgie shakespearienne où le dernier mot, le dernier geste, est dit ou fait par le personnage dominant : la fatalité. Il obtint pourtant ce qu’il avait souhaité plus que tout : le rang suprême. Mais, dès lors, s’évanouirent la lumière, la santé, le bonheur. Remplacés, en deux ans par l’angoisse, la maladie, la mort. Et pourtant, c’est spirituel, inattendu et irrésistible de drôlerie, même si on se perd un peu beaucoup entre le réel, le fictionné et l’onirique. Peut-être ce film aurait-il gagné à mieux choisir sa voie.