Evolution s’empare d’un dispositif de mise en scène, en l’occurrence la contrainte du plan-séquence, pour mieux le réinventer par trois fois, si bien que les segments, qui marquent un changement de génération, dialoguent les uns avec les autres : au huis-clos central entre deux mères tournées respectivement vers le passé et l’avenir, signe de la périlleuse communication et les diverses expressions du traumatisme – garder les miettes de pain au fond d’un tiroir ou d’une poche, conserver cachés les documents d’identité attestant la confession religieuse –, répond le décloisonnement dernier, tourné exclusivement à l’extérieur. Les deux derniers segments reproduisent, dans une forme plus ample, le premier mouvement de sortie de l’enfer marqué par l’impossibilité à laver les murs de l’Histoire et par la foi placée en la vie humaine au milieu du chaos.
Kornél Mundruczó rend compte des persécutions réitérées de la communauté juive dont il faut honorer la mémoire par peur qu’elle ne s’efface dans l’indifférence générale, dans le relativisme ambiant, voire disparaisse : le long dialogue entre Lili Monori et Annamária Láng interroge la véracité des souvenirs, potentiellement déformés à mesure qu’ils sont pris en charge par des histoires entendues et rapportées ou rapportées et transmises à un tiers qui l’entend à sa manière. La singularité de chaque époque, présente par un soin apporté aux décors et aux costumes, tend à s’amenuir au profit d’une variation autour du même : il y a toujours un animal total, qu’il s’agisse du cheval, du pigeon ou du singe (masque), toujours une rencontre géographique et culturelle, puisque les Russes viennent d’abord au secours d’une Hongroise avant que celle-ci ne retrouve, plusieurs décennies après, sa fille vivant en Allemagne dont le fils tombe amoureux d’une adolescente musulmane. La marche finale au sein d’un cortège chrétien, chantant « Ich geh mit meiner Laterne », orchestre avec poésie une réconciliation des religions et des peuples européens ; et la fuite des jeunes amants ouvre sur l’image du quai auquel sont attachées des barques, métaphore du voyage existentiel.
Un immense long métrage qui s’empare d’un dispositif de mise en scène non comme d’une fin en soi – à la différence du récent The Zone of Interest (Jonathan Glazer, 2023) – mais comme d’un moyen pour rétablir la communication et le partage d’une expérience traumatique entre les êtres humains et entre les générations.