Piccolo corpo : les secrets du tournage

En 2016, Laura Samani a découvert qu’il y avait, à Trava, dans sa région le Frioul-Vénétie Julienne au nord-est de l'Italie, un sanctuaire qui, jusqu’au 19ème siècle, aurait été un lieu de miracles particuliers : on disait que les enfants mort-nés pouvaient y revenir à la vie, le temps d’un souffle. La réalisatrice explique : "De tels miracles permettaient le baptême de ces enfants mort-nés, sinon condamnés à être enterrés sans sépulture chrétienne, comme on enterre les chats."

"Sans baptême, il leur était impossible de recevoir un prénom ; leur âme était condamnée à errer éternellement dans les Limbes. Ce genre de lieux, appelés à répit ou sanctuaires du souffle ou de la trêve, existaient partout dans les Alpes (en France on en comptait presque deux cents). Il est surprenant que leur histoire soit pratiquement inconnue malgré l’importance du phénomène. L’histoire de ces miracles s’est frayée un chemin dans un coin de mon esprit et s’y est ancrée."

Une chose a particulièrement frappé Laura Samani : le fait que ce soit surtout des hommes qui effectuaient le voyage jusqu’aux sanctuaires avec les cadavres de leurs bébés. La cinéaste précise : "Evidemment, les femmes qui venaient d’accoucher étaient encore alitées,mais je ne pouvais passer sous silence l’attente impuissante qu’elles devaient traverser."

"La première question que j’ai posée aux co-auteurs, Elisa Dondi et Marco Borromei, qui ont accompagné mon périple commencé avec La santa che dorme (Cinéfondation - 2016), était : qu’arrive-t-il à la femme dans son lit ? Et si, au contraire, c’était elle qui décidait d’entreprendre ce voyage ? Nous avons ainsi commencé à écrire avec seulement deux certitudes : elle, c’est Agata, et il s’agit de sa première grossesse."

Le film a été présenté à la Semaine Internationale de la Critique au Festival de Cannes 2021.

Si Laura Samani a situé Piccolo Corpo dans son pays natal, cet enracinement territorial ne signifie pas que cette histoire n’appartient qu’à cet endroit : "Je pense que les histoires sont les mêmes partout. J’ai filmé de façon chronologique, entreprenant ainsi le même voyage qu’Agata, des lagunes de Caorle et de Bibione aux montagnes de Carnie et de Tarvisio. Le film a évolué avec nous, tout comme il nous a fait évoluer."

En faisant des repérages, Laura Samani a rencontré des gens qui sont devenus des personnages du film. En pratique, tous les personnages sont interprétés par des débutants, parfois des familles entières, sans aucune expérience cinématographique. Elle note : "C’est également pour cette raison que j’ai décidé de filmer dans les dialectes frioulan et vénète, non seulement pour respecter la langue authentique de l’époque, mais également pour rendre hommage aux différentes variantes et laisser les acteurs s’exprimer aussi naturellement que possible."

"Le processus d’imposer l’Italien a commencé lors de la deuxième moitié du 19ème siècle et a continué sous le fascisme, une opération politique destinée à faciliter le contrôle du territoire qui a causé un énorme appauvrissement culturel, mais qui, fort heureusement, n’a pas entièrement réussi à éradiquer la grande variété de langues régionales."

Pour diverses raisons, toutes les personnes qui ont participé au film ont trouvé un peu d’elles-mêmes dans l’histoire et dans les thèmes qu’elle aborde. "C’est pourquoi nous avons souvent fini par parler davantage de la vie que du cinéma, et par apprendre les uns des autres : parfois, c’est moi qui les dirigeais et à d’autres moments, c’est eux qui me guidaient. La transversalité est la meilleure forme de création", précise Laura Samani.