Déjà que les autostoppeurs, j'hésite !
On le sait, les vacances, c'est quand même le moment qu'on attend tous. C'est d'ailleurs presque la seule raison pour laquelle on endure comme des bêtes des horaires et des conditions de travail bancales sous la coupe d'un chef qui abuse autant de son autorité avec nous qu'il se transforme cocker lorsqu'il parle à son supérieur. Et puis les vacances, au-delà d'envoyer la routine dans le décor, c'est aussi des nouvelles rencontres, la possibilité de se montrer autrement avec des personnes qu'on ne reverra probablement jamais. On lâche les chevaux, on ose, on fait les fifous !!!
Sauf que... Ben oui, sauf que ! Parce que là, dit comme ça, ça ressemble plus à Vive les vacances qu'à Speak No Evil !
Car dans Speak No Evil, les vacances, c'est bien, mais c'est pas le sujet. Le sujet, c'est l'âpreté de l'après, le retour au quotidien gris, rangé où les seuls remous sont dans la vie du jacuzzi.
Bjørn (un peu notre Michel national) et Louise ont une petite vie que beaucoup envierait. La douceur et la complicité de couple, leur petite fille Agnès qui a oublié d'être chiante. Ils ont un bel appartement avec vue sur Copenhague (j'imagine) dans lequel tout est à sa place, une vie de citadin où le prix au m2 doit équivaloir au PNB de la Moldavie (ce qui oblige Louise a devenir végétarienne parce que la viande, c'est pas donné et en vrai, ça fait du bien à la planète). Mais pourtant, on sent que Bjørn, il a envie d'autre chose. Il veut pimenter un peu ce quotidien, il veut pouvoir manger des entrecôtes juteuses sans le regard accusateur de sa moitié. Alors quand arrive l'invitation de Patrick et Karin qu'ils avaient rencontré durant leurs congés d'été en Toscane, un couple de hollandais plus exubérants, plus "vivants", au contact facile, avec un gamin encore moins prise de tête que leur Agnès, et vivant à la campagne, comment résister ?
Alors, après quelques hésitations de Louise et des petits appels du pied de Bjørn, les voilà partis, avec l'excitation de la routine brisée, pour un petit week-end rafraichissant dans l'autre pays du fromage pour véritablement faire la connaissance de ces quasi inconnus.
Speak No Evil n'est dans son déroulement pas très surprenant. Le film est présenté comme inquiétant dès ses premières notes de musiques qui contrastent avec la douceur de vivre estivale. On sait que cette rencontre ne sera pas anodine. Ainsi les premiers instants de ces invités face à leurs hôtes, même si intriguant et dérangeants, ne sont pas autant de raisons de s'inquiéter et décamper. Il y a un décalage certes, un malaise, mais tout cela ne reste qu'un grand écart entre deux façons de vivre, d'éduquer, de se comporter. Nous spectateurs nous doutons de la tournure dramatique des événements qui attendent Bjørn et Louise bien avant que eux mêmes n'en prennent réellement conscience,
par exemple lorsqu'Abel, le fils discret ouvre une bouche béante sans langue comme un avertissement muet (vite expliqué par une soi-disant malformation de naissance) faisant écho au titre du film ou, que notre couple s'ébat comme au premier jour, un brin excité par l'inconfort, sous le visage dissimulé et les yeux pervers de Patrick.
De ce fait, certaines de leurs décisions pourraient nous paraître aberrantes voir stupides mais elles font sens, la fuite (nous semblant être la seule option) n'ayant aucun lien avec un quelconque instinct de survie dans les premiers instants de cette cohabitation. Les hôtes, rassurants et presque désolés de leurs maladresses, allant même jusqu'à confronter notre couple si "parfait" à leurs erreurs finissent de remettre ce week-end sur les rails de la camaraderie avant que tout ne bascule enfin (ça peut en effet paraître un petit peu longuet) !
Car oui, nous savons et eux non et Christian Tafdrup nous tant un piège, différent de celui dans lequel il plonge ses personnages, mais tout aussi machiavélique. Et si le film ne fait que nous mettre face à des situations malaisantes sans trop nous confronter à la finalité de ce jeu pervers, c'est justement pour mieux nous assommer d'une énorme claque dans ses dernières minutes,
quand la fuite n'est plus une option et que ce que nous préssentions, aussi improbable que cela puisse paraître dans nos vies, arrive enfin !
Speak no evil nous submerge alors. Une lame de fond d'horreur (qui devient aussi visuelle) prend en quelques secondes le pas sur le malaise diffus qui nous escortait jusque là et le réalisateur Danois nous estomaque d'une des conclusions les plus glaçantes qu'il m'ait été donné de voir, tous les choix ayant l'air d'être fait dans ce seul et unique but. Les dernières minutes sont une véritable torture que vous ressasserez bien au-delà du générique final.
Un piège finement orchestré qui reviendra inévitablement vous titiller les neuronnes lors de vos prochaines vacances lorsqu'un couple très sympa, après quelques mojitos, vous lançera : "En tout cas, vous êtes les bienvenues à la maison quand vous voulez ?" et qu'ils vous regarderont dubitatifs lorsque vous leur répondrait : "J'veux d'abord voir la langue de votre fils ?"
Une version américaine arrive avec un James McAvoy déjà bien remonté et je crains au vu de la bande annonce que le côté survival inexistant dans l'original soit détourné au profit d'une notion d'emprisonnement complètement absente ici et qui fait résonner un des derniers échanges du film entre Patrick et ce triste et trop gentil Bjørn :
- Pourquoi vous faites ça ?
- Parce que vous nous avez laissé faire !
nous laissant avec cette citation d'Edmund Burke :
La seule chose qui permet au mal de triompher est l'inaction des hommes de bien.