Forcément qu'il y a un malentendu au sujet de L'année du requin, vu son affiche et sa bande-annonce, qui semblent draguer le grand public vers des Dents de la mer à la française. Après le culte Teddy, moins bon qu'on ne l'a dit, les frères Boukherma s'amusent à torpiller gentiment les codes du film de genre, sachant très bien ce qu'ils font, à savoir construire un objet hybride, qui mélange à parts inégales comédie, suspense et drame, mais toujours dans un registre ironique, parfois sarcastique, qui s'astreint pourtant à un certain réalisme mâtiné d'absurde, à mi-distance, si l'on veut, mais c'est un peu réducteur, de Guiraudie et de Dupieux, voire même de Dumont. Le spectateur ne sait pas trop sur quel pied danser devant un film très peu spectaculaire et pas souvent drôle (sauf pour les adeptes du second degré et du comique de répétition) et qui joue la carte du régionalisme avec délectation, avec ses acteurs amateurs et sa voix off dotée de l'accent du sud-ouest, qui donne au récit une forme de décalage malicieux. Plus que "franchouillard", qualificatif symbolique de ceux qui aiment tant dénigrer les produits locaux et vénérer ce qui vient de l'autre côté de l'Atlantique, L'année du requin cultive la dérision en jouant avec ambigüité sur l'air du temps (bien-être animal, wokisme, dérèglement climatique), jusqu'à l'interprétation, volontairement minimaliste, de Zadi, Merad et consorts. Remarque qui ne vaut pas pour Marina Foïs, jamais meilleure que lorsqu'elle doit jouer des femmes énergiques, au comportement parfois limite, comme ici dans sa brigade des aidants de la mer qui est toute sa vie. Alors, après tous les événements décrits dans le film, quel enseignement faut-il en tirer sur la nature humaine et sur notre époque ? "Peut-être aucun", suggère la voix off, ce qui n'est pas totalement faux et parfaitement en adéquation avec le caractère très particulier et frustrant, mais finalement attachant du film.