Ludovic et Zoran Boukherma ont-ils décidé de nous offrir une parodie des « Dents de la Mer » avec (beaucoup) de retard ? Oui… et non… En fait, si le célèbre film de Spielberg est bien l’objet de nombreuses références et clins d’œil tout au long du film, jusque dans sa plus célèbre réplique, et même si la trame du film n’en est pas très éloignée, « L’année du requin » s’avère être autre chose qu’une simple parodie. Bien sur il y a beaucoup de second degré (et pour commencer une voix off lénifiante rigolote au début, puis très vite pénible parce que totalement inutile, en fait), des gags récurrents plus ou moins réussis, le film n’est pas avare en suspens, en scènes sanguinolentes, en musique « qui fait peur », tout cela n’est pas généralement présent en si belle place dans les pures parodies. En fait, le film des frères Boukherma se cherche un peu, essayant de faire rire et faire peur en même temps, de faire réfléchir sur le réchauffement climatique, de régler son compte aux dérives des réseaux sociaux et dénoncer le populisme (avec les deux Bernard de « Radio La Pointe »), le film tire un peu tout azimut et il finit par se disperser un peu. Bien calibré, mené avec un rythme soutenu, et pas trop long, pas désagréable à suivre, le film doit beaucoup à son casting et notamment à Marina Foïs. Habillée en bleu même une fois à la retraite (jusque dans le verni à ongle), on sent chez cette femme un attachement viscéral presque inquiétant à son métier, comme si cela emplissait toute sa vie et ne laissait de place pour rien d’autre.
Après une première réussite vis-à-vis du requin, elle se retrouve dans la peau d’une héroïne, puis le vent tourne et la voilà subitement paria, insultée sur les réseaux sociaux et même agressée dans une scène effrayante qui nous fait dire qu’on n’est pas réellement dans une comédie
. C’est donc un compte qu’elle cherche à régler avec le squale, qui symbolise ce sentiment d’inachèvement qu’elle ressent vis-à-vis de son job. Elle est très bien Marina Foïs, tout comme son mari amoureux et prévenant (et très patient) Kad Mérad, que j’ai rarement vu dans un rôle si lisse ! Jean-Pascal Zadi (dont le rôle aurait mérité d’être un peu plus étoffé) et Christine Gauthier (gendarmette maladroite et un peu énervante de mollesse) complètent une équipe de semi bras cassés, gendarmes parfois proche de la caricature style « Saint Tropez », engagés dans une lutte contre un animal redoutable. Ici le requin (crédité au générique) est filmé d’abord en caméra subjective (très efficace mais pas nouveau) pour ensuite être montré clairement, dans toute sa taille et avec sa mâchoire terrifiante. Les attaques, les morceaux de corps, les cadavres, tout cela est filmé et montré sans pudeur, encore une fois pour une comédie cela surprends un petit peu. Le scénario, que je trouve dans son ensemble malheureusement assez crédible, fait au départ penser à celui des « Dents de la Mer » :
convaincre que le requin existe, affronter les réticences des commerçants et du secteur du tourisme, affronter l’animal. Mais ensuite le film prend la parti de s’appuyer sur des problématiques plus modernes : tuer l’animal ou pas, poser la question de dérèglement climatique, passer su statut de héros au statut de paria en quelques heures, affronter le déni et le populisme, toute ces choses qui, pour le coup n’existaient pas dans les années 70 et qui semblent aujourd’hui bien plus dangereuses qu’un simple requin bouledogue.
Je comprends très bien cette volonté d’ancrer cette histoire dans le monde d’aujourd’hui, de faire de ce combat Homme/Requin le symbole d’un combat Homme/Nature même si j’ai bien conscience que s’éparpiller ainsi ne rend pas le long métrage très lisible. Reste que, malgré tous les bémols que l’on peut formuler sur le film, sur certaines scènes un peu lourdes, certains gags pas très drôles, certains personnages bien caricaturaux, « L’Année du Requin » n’est pas un mauvais film, en tous cas ce n’est pas un moment de cinéma que l’on regrette. On quitte peut-être la salle avec un sentiment ambivalent de film inachevé mais sans en garder clairement un mauvais souvenir. Ce n’est pas un très grand film, ni un chef d’œuvre de comédie noire, c’est un film parfois un peu maladroit dans sa forme mais malgré tout pertinent, et qui mérite sa place dans cet été cinématographique caniculaire.