Je viens de me revisionner d'affilée les deux "Planet of the Apes", l'original de 1968 et son "remake" 2001. Une excellente opportunité pour apprécier les choix de Burton, des scénaristes, ainsi que, ne l'oublions pas, de se replonger un instant dans la trame initiale de Pierre Boulle. In fine, c'est aussi l'occasion de démystifier les dires, acerbes pour beaucoup, sur l'œuvre de Burton. L'heure est donc à faire un léger et modeste recadrage, du moins un éclairage pour tempérer les ardeurs virulentes de certaines critiques plus ou moins virulentes et manquant d'à propos... Commençons donc par traiter du fond pour envisager la forme par la suite, une fois n'est pas coutume. Et histoire de faire vraiment tout à l'envers, traitons des polémiques autour de la fin du film. Ainsi, beaucoup de ceux qui ont été, comme moi, estomaqués par la fin du film de 1968 reprochent à Burton d'avoir "trahi" cette fin initiale de 1968. En effet, dans le film de Schaffner,
le héros (et le spectateur) ayant cru tout au long du film être sur une autre planète, réalise, à son grand dam, qu'il est bien sur Terre, quelques 3000 ans dans le futur ; dans la version Burton, le doute plane au cours du film (la faute à la version de 1968 qui hante le spectateur lors du visionnage de la mouture 2001) jusqu'à ce que l'on comprenne que la Planète des Singes est en réalité une autre planète que la Terre... et que la Terre est elle-même devenue une autre Planète des Singes (les raisons ne sont pas expliquées, laissant, selon Burton, la porte ouverte à une suite pour la Fox).
Beaucoup donc ont crié au scandale de faire une fin aussi confuse et aussi éloignée de celle de 1968. En réalité, le seul reproche que l'on puisse faire à l'encontre de Burton est de s'attribuer (cf. les commentaires audio du DVD) le "mérite" de cette fin qui n'est autre... que celle de Pierre Boulle!!! Dans le livre (de 1963 pour rappel), le héros, Ulysse (Taylor dans le film de 1968),
parvient à quitter Soror, la Planète des Singes, pour arriver sur Terre et se poser à Orly (après avoir survolé la Tour Eiffel) avant d'être accueilli par... des singes...
On peut dire ce qu'on voudra sur ce choix de conclusion de l'écrivain français, mais toujours est-il qu'entre les deux films, le plus fidèle est bien celui de Burton!! Et c'est là qu'en quelque sorte le bât blesse, bien malgré lui, pour le film de Burton... Les critiques se poursuivent en mettant en exergue le caractère confus des tenants et des aboutissants du récit: ces critiques résultent, pour beaucoup, du fait que ces gens, prisonniers du souvenir du film de 1968 ainsi que des attentes déçues qu'ils ont eues de celui de 2001, ne comprennent pas l'histoire, qui leur semble de facto floue, brouillonne ou incohérente (c'est selon...). Plus encore, le film de Burton joue sur les voyages temporels (pourtant simples ici, mais qui n'aide pas les nombreuses personnes ayant du mal avec la chronologie bousculée que permettent les voyages temporels), ce qui est susceptible de brouiller l'esprit de certains... Donc un petit éclairage chronologique s'impose:
au début, la capsule spatiale du singe Périclès est la première à s'engouffrer dans le nuage cosmique électromagnétique (qui provoque le voyage spatio-temporel), suivie quelques minutes plus tard par celle de Léo (Mark Wahlberg). On apprend par la suite que la station spatiale elle-même s'engouffre à son tour dans le nuage pour tenter de sauver Léo. Seulement, si les trois vaisseaux ressortent du nuage au même endroit dans l'espace (à savoir à proximité de la fameuse planète inconnue), ils n'en ressortent pas du tout dans le même ordre!! En l'occurrence, la station est la première à en sortir puis se crashe sur la planète, inhabitée. Rapidement, les singes (génétiquement modifiés et qui étaient l'objet d'expériences dans la station) (dont le fameux Semos) prennent le pouvoir dans le sang puis fondent leur propre civilisation pendant que les quelques humains survivants de la station s'installent ailleurs sur la planète. Pour ceux qui reprochent que les humains de Burton parlent (contrairement à la version de 1968), en anglais (comme les singes) qui plus est, l'explication est là: singes et humains sont issus de la station spatiale, la langue a perduré, là où, comme dans toute civilisation (re)partant de zéro, les souvenirs des origines se sont perdus avec le temps. Plusieurs milliers d'années passent (comme le confirme le cadrant de la capsule de Léo lorsqu'elle est prise dans le nuage) sur la planète et Léo sort enfin du nuage (il s'est bien passé plusieurs milliers d'années sur la planète, mais pris dans le nuage temporel, cela n'a été que quelques instants pour Léo). Enfin, Périclès est le dernier à s'échapper du nuage et parvient à atterrir en douceur sur la planète pour sauver le héros...
Voilà pour ce qui est de l'explication de texte... Et une fois cela fait et assimilé, j'ai peine à croire qu'on puisse continuer à assassiner le scénario qui au final se tient très bien, est riche en péripéties et en rebondissements et montre une originalité certaine par rapport à la mouture 1968, justifiant totalement l'idée du remake. En revanche, là où le film est attaquable est plutôt sur le manque de profondeur, en particulier en ce qui concerne les personnages. On aurait aimé un rythme de narration un poil plus lent par endroit pour laisser place au développement des personnages, trop survolés dans l'ensemble. De même, avec une narration plus lente et plus étoffée, il y a fort à parier que la compréhension de l'origine des singes et des humains sur la planète aurait été meilleure, du moins plus limpide... Pour en revenir aux personnages, même s'il n'est pas foncièrement mauvais, le choix de casting de Wahlberg est discutable: comme souvent, le comédien est un peu trop lisse et trop mono expressif, même si paradoxalement, cela fonctionne assez bien ici avec un personnage qui n'a qu'un seul but: rentrer chez lui -en se foutant royalement du reste- (et à sa place, on serait bien tenté d'avoir ce même empressement). Inversement, on savourera sans caprice la performance de Tim Roth qui en impose sous le maquillage (des maquillages bluffants pour les Singes mâles mais qui, la faute à une volonté d'anthropomorphisme et de séduction, sont ridicules pour les Singes femelles (on appréciera, n'est-ce pas, les beaux sourcils (?!) épilés et les choucroutes capillaires lissées de celles-ci...). Force est de reconnaître que l'ensemble du travail réalisé sur les singes est de grande qualité: des maquillages (avec la réserve évoquée plus haut) au jeu des comédiens, en passant par les effets spéciaux ou les choix artistiques et de direction, tout a été pensé pour qu'on croit en ces primates et qu'on oublie l'humain dans le costume! Et ça fonctionne brillamment!! Pour en revenir à la question de la profondeur, il eût été également apprécié d'avoir des dialogues plus consistants dans l'ensemble. Les aficionados de Burton pourront aussi être déçus par le manque de "patte Burton", quoiqu'il aurait été mal venu que l'univers "Planet of the Apes" soit trop marqué de la sauce Burton, en particulier en terme de décalage, telle qu'on la connait et qu'on l'aime. On la retrouve néanmoins par touches équilibrées dans les décors. Visuellement, le film de Burton est très propre, lisible et esthétique avec une belle photographie, mais sans être somptueux pour autant. L'ambiance visuelle est vraiment plaisante et riche et plonge bien le spectateur dans l'atmosphère d'une civilisation originale et cohérente. Au final, "Planet of the Apes" version Burton est un excellent divertissement et un film de très bonne facture mais qui ne parvient pas à se hisser dans les grands films de SF: encore une fois, si l'histoire à proprement parler est bonne et originale, si le visuel est totalement au rendez-vous, il manque cette profondeur narrative pour créer ce déclic affectif (et envers les personnages et envers l'univers) nécessaire aux grands films...