Projet que Stanley Kubrick a développé pendant une vingtaine d’années, l’adaptation très libre (seule la thématique de base est commune) de la courte nouvelle Les Supertoys durent tout l’été de Brian Aldiss s’est heurtée pendant de nombreuses années aux limites technologiques des effets spéciaux de l’époque. La sortie de Jurassic Park en 1993 a convaincu le réalisateur d’Orange mécanique qu’il était désormais possible de retranscrire cette nouvelle à l’écran mais proposa à Steven Spielberg de le réaliser pendant que lui le produirait car il trouvait que la sensibilité du film était plus adaptée à ce cinéaste. Spielberg préférant que ce soit son ami qui le réalise, Kubrick décida de le tourner après Eyes wide shut. Hélas, peu avant la sortie de ce dernier, Kubrick décéda. Jan Harlan, beau-frère et producteur exécutif de Kubrick, proposa donc tout naturellement à Spielberg de réaliser cette adaptation depuis retitrée A.I. Intelligence artificielle, chose que Spielberg accepta pour rendre hommage à son ami.
Cette genèse compliquée explique l’accueil critique mitigée que le film rencontra à l’époque (la plupart des films de Kubrick ont d’ailleurs fait l’objet de ce type de réception à leurs sorties pour être considérés quelques années plus tard comme étant des chefs-d’œuvre). En effet, il fut reproché à Spielberg à la fois de vouloir copier Kubrick et de le trahir. Toutefois, si Kubrick avait proposé à Spielberg de réaliser ce projet, c’est qu’il estimait que ce dernier était plus adapté à cette histoire. De plus, le cinéaste avait tenu son confrère informé du développement du projet pendant toutes ces années. En outre, les projets de Kubrick connaissant de très longues périodes de développement et de nombreuses modifications, on ne peut pas savoir quel aurait été le résultat final (sûrement aurait-il été au final très différent de la version de Spielberg). Enfin, il est tout à fait normal que Spielberg adapte son film à sa sensibilité pour pouvoir le réaliser, chose très courante lorsqu’un projet change de réalisateur : il ne prétendra d’ailleurs jamais se mettre à la place de Kubrick mais seulement vouloir lui rendre hommage.
Cette critique peut toutefois un peu se comprendre par la structure esthétique et narrative du film. En effet, le film est construit en trois parties.
La première raconte la vie de David au sein de sa famille et possède un rythme assez calme, une esthétique et des couleurs assez froides pouvant rappeler justement le regard distanciée de Stanley Kubrick. La seconde, clairement séparée par un fondu au noir, décrit le parcours de ce même personnage dans Rouge City, un univers aux couleurs plus chaudes qui est plus bruyant et mouvementé. Enfin, la troisième, se situant dans un Manhattan envahi par les eaux, revient vers une esthétique plus froide et plus centrée sur la douceur. Surtout, cette dernière partie se conclue avec la présence de personnages qui font penser à des extraterrestres mais qui seraient en réalité de robots super développés (ce qui est loin d’être clairement expliqué et qui donc peut être considéré comme un point faible amenant le spectateur à mal interpréter le film).
Mais, en réalité, la plupart des éléments attribués à Spielberg à l’époque viennent de Kubrick
(cette fameuse fin était d’ailleurs un point de désaccord entre Kubrick et Brian Aldiss, à l’époque où ce dernier était rattaché au scénario)
. De même, la première partie, malgré sa froideur apparente, possède déjà certains aspects purement spielbergien
(première apparition de David qui fait penser aux extraterrestres de Rencontres du troisième type, émotions exacerbées de David, thématique de l’abandon de la séparation d’un enfant avec ses parents…)
. À contrario, d’autres éléments dans les parties faisant plus penser à Steven Spielberg revêtent des côtés kubrickiens
: l’esthétique des fauteuils se trouvant chez le Dr Sais-Tout (Dr Know en V.O.) fait penser à celle de 2001, l’Odyssée de l’espace, la fin énigmatique renvoie à celle de ce même film…
De même, les nombreuses allusions à Pinocchio font penser à Rencontres du troisième type (Roy Neary veut emmener ses enfants voir son adaptation de Disney, quelques notes de la bande originale de cette dernière sont reprises dans la séquence finale…) mais sont en réalité présentes dès le début du projet par Kubrick : on peut donc penser que l’aspect conte de fée que possède le film était lui aussi déjà là.
Cette double paternité de l’œuvre aurait pu offrir un résultat instable mais Steven Spielberg a une fois de plus prouvé tout son génie en arrivant à unifier ces aspects disparates sans que cela soit choquant un quelconque instant et montre tout le long du film sa maîtrise de la caméra (pour comprendre comment Spielberg peut raconter une histoire à travers un simple cadrage, il suffit de voir le plan où David est filmé à travers un lustre en forme de soucoupe volante signifiant que David est un extraterrestre à l’intérieur de cet univers). De plus, il est aidé par des effets spéciaux tout bonnement incroyables
(les séquences de la Foire de la chair)
. Mais le film est également porté par l’impressionnante prestation de Haley Joel Osment qui arrive à la fois faire ressentir le fait qu’il ne soit pas humain (David a beau aimer, il ne possède pas des réflexes et des réactions humaines) tout en arrivant à nous faire ressentir ses émotions
jusque dans une fin d’autant plus émouvante que l’on sait que c’est un faux happy-end (s’il retrouve sa mère ressuscitée pour l’occasion une journée, c’est pour ne plus jamais pouvoir la retrouver un jour)
et par une très belle musique, à la fois discrète et porteuse d’émotions, de John Williams.
Ainsi, malgré les légères réticences que l’on peut ressentir sur les dernières séquences, cette adaptation très libre des Supertoys durent tout l’été (œuvre à laquelle Brian Aldiss a offert deux suites, Les Supertoys quand arrive l’hiver et Les Supertoys les autres saisons, qui possèdent certains aspects du film, mais qui ont été écrites entre la mort de Kubrick et l’aboutissement de l’œuvre par Spielberg) est une œuvre magnifique qui permet à un génie du cinéma de porter à l’écran un projet d’un autre génie du 7ème art tout en lui rendant hommage.