Spielberg et Kubrick, deux géants du cinéma américains. Une rencontre entre deux cinéastes qui s'estimaient énormément respectivement, un projet initié par indétrônable Kubrik avant d'être remanié et achevé par Spielberg. On sent l'influence du premier dont l'ombre plane sur la structure même d'A.I., surtout sur la première partie dans l'appartement, dans son cadrage lent, minutieux, presque froid et qui pourtant montre de sublimes débordements d'émotions. Pourtant c'est bien un film de Spielberg, transcendé par son sujet, avide de rendre hommage à une de ses plus grandes influences, à qui il doit beaucoup. A.I. Suscite un vif intérêt dès la première scène où les grandes lignes de la question posée sont tracée, il s'agit d'un script raffiné qui concurrence sans problème les chemins tortueux ouverts par de grands auteurs de SF tel K.Dick tout en étant imprégné d'une rare poésie souvent absent de ce type de film, plus caractéristique des romans de Ray Bradbury. Quoiqu'il en soit, c'est une histoire inoubliable, un conte magnifique qui creuse jusqu'aux confins de l'enfance, qui débat sur la nature humaine via la faculté d'aimer que nous avons et qui nous est si chère, surtout au cinéma où elle est sans cesse disséquée, analysée, métamorphosée, métaphorisée, déformée, aliénée...et le sera à jamais sans perdre la moindre goutte de notre intérêt. Tout cela fonctionne grâce à des acteurs qui se surpassent, des effets spéciaux parfaits qui n'ont pas à trembler d'un cheveu face à ceux de notre époque, une partition à ranger directement au panthéon des plus touchantes compositions de John Williams, tantôt mystérieuse, tantôt glaçante, tantôt lacrymale. La galerie de personnages tous aussi mémorables les uns que les autres aligne une impressionnante armada de robots crées par le grand Stan Winston lui-même, et qui démontrent que son talent peut encore s'améliorer : leurs mouvements son tellement fluides qu'on croirait à des images de synthèses. Comme pour Jurassic Park, le prestigieux studio ILM se charge de ces dernières sous les ordres de Denis Murren. La photographie de Janusz Jaminski étoffe ce monde irréel avec une perfection d'orfèvre toute kubickienne. Quant aux acteurs représentants des androïdes, il calquent avec beaucoup d'aise leurs jeux sur une gestuelle mécanique, un regard fixe...Jude Law est irréprochable et notre petite grande vedette de Haley Joel Osment se débrouille vraiment bien. On se rend compte que c'est un enfant qui est en charge de ce rôle si lourd, pour le mieux car ce qui pourrait passer pour un défaut dans d'autres cas magnifie ici le héros. Les humains normaux sont brillamment incarnés par Sam Robards (Henry Swinton) et surtout Franes O'Connor (Monica Swinton) qui campe tellement bien la mère dans toute sa complexité et son naturel qu'on y croit, qu'on pense à notre propre jeunesse, à nos propre relations. C'est ce en quoi A.I. Est si touchant, si personnel, si déstabilisant. On y retrouve les charme du premier âge, Pinocchio entre autre, mais aussi un morceau de la Belle au Bois Dormant. De quoi sentir une larme glissait lorsque tout se termine, avec une mise en abîme de la notion du temps qui passe, de la vie, qui ramène dans notre cœur des interrogations primordiales depuis longtemps oubliées et mises de côtés. On se sent craquelé comme une poupée de porcelaine lorsque A.I. S'achève, chancelant, perdu comme un petit enfant. Une sensation si rarement procurée au cinéma, si subtile, si fine, d'une valeur inestimable, qui nous donne une poussée vivifiante, qui nous amène à reconsidérer timidement le monde qui nous entoure pendant quelques instants. A.I. Est unique, merveilleux, inoubliable, un chef d’œuvre trop souvent incompris, qu'il faut respirer à plein poumon pour en ressentir l’étincelle de magie bouleversante qui l'anime.