"La chimère" d'Alice Rohrwacher (2023) est un film très poétique, une sorte de fable mythologique où le funèbre et le profane rejoignent le lumineux et le sacré. Il parle de tombes très anciennes sur un rivage de l'Adriatique et de profanations modernes, à des fins commerciales. Le fil rouge de l'histoire est un fil très visible, de laine rouge. Il est celui d'une robe multicolore qui se détricote, celle de la jeune et jolie Beniamina, Eurydice évidemment. Le héros, amoureux endeuillé, est anglais et archéologue, Arthur-Orphée, triste, différent. Il possède un don, celui de voir l'invisible sous la terre, d'être relié aux poètes qui y créèrent de si belles fresques et aux âmes défuntes protégées par leur "trousseau funéraire", c'est-à-dire de beaux objets, poteries, animaux, suscitant la convoitise des" tombaroli" ou pilleurs de tombes. Le film nous fait ainsi passer insensiblement de la surface aux profondeurs, du réel souvent drôle, souvent inquiétant aux rêves ou aux songes indéfinissables. Un voyage en train et je ne sais plus où est la réalité, où est le surnaturel. Impression soudaine d'être dans "Un soir un train" le film de Delvaux. La force de "La chimère", c'est qu'à la surface de cette terre italienne, il y a des êtres épatants faits de chair et de charme : Isabella Rossellini en vieille dame bienveillante et malicieuse, ne voulant pas croire en la mort de sa fille Beniamina, entourée d'autres méchantes filles, comme dans un conte. Italia, la fausse-vraie domestique, incarnée par la géniale actrice brésilienne, Carol Duarte. Je l'adore, à la vie à la mort. Elle est l'amoureuse sur terre. Boucles brunes et grands yeux noirs, elle est mutine et drôle. Lorsque le film subit une petite baisse de régime, après le premier tiers, elle est celle qui en se métamorphosant et en dansant, le fait repartir et briller. Elle est aussi celle qui voit la pollution de la mer par les usines et refuse la profanation des tombes qui ne sont pas faites "pour voir les yeux des humains." Effectivement les oiseaux peints sur les parois s'effaceront aussitôt à la lumière du jour, comme dans " Roma" de Fellini. Sur cette terre, il y a aussi d'autres passeurs du profane au sacré, d'autres passeurs de poésie, les chanteurs de musique populaire, les troubadours, racontant les péripéties du héros. La musique est essentielle, comme l'Orfeo de Monteverdi. Je ne raconterai pas la fin, les fins, très belles mais Orphée retrouvera le fil rouge d'Eurydice.