L’exercice complexe auquel nous confronte le réalisateur chilien, Sebastián Lelio (Navidad, Gloria, Une Femme Fantastique, Désobéissance), c’est celui de la distance. Elle se traduit par une croyance des récits, tous plus vrais que nature, mais qui ne servent en rien la mise en scène. Ce dernier préfère accompagner ses personnages dans le doute et les dialogues salvateurs. En plaçant son récit en terre irlandaise de 1862, il suggère de dépasser les frontières de ce marqueur temporel. L’ouverture en témoigne, avec un profond désir de prendre du recul sur le « miracle » autour du corps d’une jeune fille, exploitée comme une arme politique et religieuse par son entourage. En ce point, le film possède bien des similitudes avec le récent « 3000 ans à t’attendre » de George Miller, qui met en avant l’ampleur des récits, que l’on s’approprie et que l’on fantasme. Son format d’enquête spirituelle vise ainsi à sonder les faits, de manières à nous sensibiliser sur la vérité qui en découle.
Pourtant, il s’agit de bien se placer, afin d’être réceptif à l’intrigue. Dès la première scène, une voix-off nous laisse à la fois « dehors » et « dedans », car le procédé est par nature artificielle et peut-être pas assez appuyé dans sa résolution finale pour en devenir mémorable. Le jeu de piste n’en est donc pas vraiment un et ce qu’il nous reste, c’est une confrontation directe entre Lib Wright (Florence Pugh), infirmière dépêchée de Londres, et sa patiente, ou presque, Anna O’Donnell (Kila Lord Cassidy), dont la surveillance sans temps mort est requise. Débute alors toute une psychose collective, qui vient interroger la protagoniste et le spectateur, au même titre que « Le Nom de la Rose » d’Annaud, « L’Exorciste » de Friedkin ou « Benedetta » de Verhoeven, par exemple. Le texte est donc au cœur du conflit, jusqu’à en délaisser un langage cinématographique pertinent. La photographie d’Ari Wegner (The Young Lady, The Power of the Dog) se démarque néanmoins dans son enveloppe gothique, afin d’alimenter cette atmosphère macabre, que Matthew Herbert accompagne finement de sa partition singulière.
On a pris soin de développer les personnages dans le coin, avant de réellement s’intéresser aux cas miraculeux d’une survivante. Et ce n’est pas avec des pincettes que l’on nous évoque finalement le deuil, que les deux héroïnes cherchent à se défaire, l’une par la science, l’autre par la foi. Leur contradiction les emmène toutefois à repenser leurs valeurs respectives, jusqu’à ce que le dénouement vienne trancher sur la question de légitimité. En nous envoyant au plus proche des coulisses d’une rumeur incroyable, Lelio fait également face à une réalité qui le dépasse, non pas dans le récit, mais dans son processus, un poil prétentieux et qui ne laisse plus beaucoup de loisir au spectateur pour se faire son opinion. Peut-être bien qu’en renversant le point de vue de Lib par celui d’Anna pourrait compenser cette perte d’énergie. La défense de l’enfant est un consensus maladroitement amené, créant du malaise pour son cadre sectaire et son patriarcat omniprésent, mais pas au nom de la rationalité, la plupart du temps étouffée dans l'œuf ou esquivée entre deux crises identitaires.
Cette adaptation du roman « The Wonder » d’Emma Donoghue nous catapulte sans peine dans la charge émotionnelle d’une héroïne, dont on connaît rapidement les enjeux. Se crée alors une relation mère-fille inattendue, au chevet d’une Anna très convaincante dans sa perdition. Mais il est nécessaire d’inviter son audience au contact de la chair et de la douleur des protagonistes, ce que le film réussit moitié avec son introduction, voire sa clôture, un peu trop détachée de son sujet pour que l’on en retienne son omnipotence. La narration feint donc de laisser mûrir les personnages endeuillés et se précipite pour justifier ce qui se lit déjà dans les yeux de ces derniers.