L’illusion du pouvoir
Le précédent docu de François Ruffin et Gilles Perret, m’avait passablement irrité pour les raisons que j’explique dans ma chronique publiée le 4 avril 2019. Cette fois, ces 85 minutes de plongée dans le monde des invisibles et des oubliées du lien social m’ont ravi. « Mais qui m’a mis cette tête de con ? » Ce n'est pas le grand amour entre le député En Marche ! Bruno Bonnell et l’insoumis François Ruffin. Et pourtant... C'est parti pour le premier « road-movie parlementaire » à la rencontre des femmes qui s’occupent de nos enfants, nos malades, nos personnes âgées. Ensemble, avec ces invisibles du soin et du lien, ils vont traverser confinement et couvre-feu, partager rires et larmes, colère et espoir. Ensemble, ils vont se bagarrer, des plateaux télés à la tribune de l’Hémicycle, pour que ces travailleuses soient enfin reconnues, dans leur statut, dans leurs revenus. Et s’il le faut, ils réinventeront l’Assemblée… Un exercice de démocratie participative tout à fait réjouissant et d’utilité publique. Vont-ils le diffuser à l’Assemblée, à l’Elysée et à Matignon ?
Le député Insoumis a accepté d’être filmé dans le cadre de ses activités parlementaires, mais, le plus souvent loin du décorum et des ors du Palais Bourbon. Non, on le suit, dans son duo improbable avec Bruno Bonnell, député En Marche, au cours de leur mission parlementaire sur « les métiers du lien », l’abnégation de celles qui touchent aux corps, qu’elles soignent, qu’elles lavent, qu’elles portent et qui mettent tout leur cœur à l’ouvrage dans des conditions de travail indignes et pour des salaires de misère. Le tournage avait commencé dès 2019, mais la pandémie et le confinement l’ont interrompu. C’est alors que Ruffin a reçu des appels de ces femmes qu’il avait déjà rencontrées : On est obligées de travailler, mais on n’a pas de masque, pas de gel, pas de blouse… A partir de là, Ruffin et Bonnell, devenus amis et convaincus de l’urgence de leur mission, reprennent leur bâton de pèlerin pour faire entendre les voix de ces femmes qui, au fil des séquences, s’imposent au premier plan, jusqu’à faire résonner leurs mots, leurs colères, leurs espoirs, dans l’Assemblée. Elles - 90 % de femmes dans ces professions - sont AVS, AESH ou agents d’entretien, touchant des salaires entre 700 et 800 €/mois pour des temps de travail allant parfois jusqu’à 50 heures/semaine. Dans son discours de mars 2020, Toutenmacron avait déclaré : Il faudra se rappeler que notre pays tient aujourd’hui tout entier sur ces femmes et ces hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. 18 mois plus tard, rien n’a vraiment changé. Nos assemblées rejettent tout projet de loi visant à améliorer ne fut-ce qu’à la marge la condition de ces laissés pour compte. Pourquoi ces métiers, essentiels, sont-ils sans statut, sans revenu ? Pourquoi, pour ces femmes, des salaires de misère et des vies de galère ? Franchement, qui pense un instant qu’elles sont moins utiles que les traders et les publicitaires ? Le pouvoir nous veut sans mémoire. Ce film est là pour leur rafraîchir. Une formidable leçon de démocratie par François Ruffin, une sorte de Capra du documentaire politique et social. A ne pas rater.