C'est le chaos qui va inspirer Tsui Hark lorsqu'il reviendra sur ses terres natales après un passage oubliable aux Etats-Unis, il met en scène Time and Tide, où il est question d'une descente aux enfers d'un agent de sécurité.
Tsui Hark a le don pour me secouer, me faire vibrer et surtout me faire vivre son cinéma, on entre dans son film sans jamais en sortir indemne, et il nous emmène à sa façon dans un univers violent où l'on sent le chaos s'approcher peu à peu. Ici, on retrouve tout ce qu'on peut aimer dans son cinéma, à savoir un condensé intense d'action, un foutoir savoureusement maîtrisé, une certaine ironie, à l'image de ses références à John Woo ou l'arme en plastique, des personnages cool que l'on va prendre plaisir à suivre, un peu d'humour et tout un tas de séquences que l'on n'est pas près d'oublier.
On peut d'ailleurs ressentir dans Time and Tide toute la frustration d'un Tsui Hark revenant des USA en ayant échoué, la faute notamment aux producteurs massacrant son oeuvre et lui enlevant liberté et créativité. Ici, il évoque donc avec cynisme John Woo, qui a eu sa carrière grâce à sa confiance pour Le Syndicat du Crime mais aussi Johnnie To, qui a pris la relève dans le cinéma d'Hong Kong avec notamment le succès international de The Mission, dont Tsui Hark reprend ici l'acteur principal pour le mettre dans un chaos ambiant où il sera dépassé par les événement.
L'oeuvre est rapide, la mise en scène est très dynamique quitte à être à la limite de tout comprendre, mais on reste toujours dedans, on la vit et le spectacle est total. S'il se rend rarement sur les terres du polars, devenu le terrain de jeu de Johnnie To depuis le milieu des années 1990, il ne se contente pas de faire dans le conventionnel, ici c'est un polars par le prisme du chaos, que ce soit chez les personnages ou l'ambiance, qui n'hésite pas à être très sombre. On sent que le réalisateur de Shanghaï Blues est inspiré, il fait exploser sa créativité tout en maîtrisant parfaitement son sujet, que ce soit dans le rythme ou la façon de mener son scénario, sachant rendre personnages et enjeux passionnants.
Pourtant, là où The Blade annonçait un chaos annihilant tout avenir, Time and Tide peut se voir comme une renaissance par le biais de ses dernières images, bien que finalement et avec le temps, ça n'accouchera sur pas grand chose, et le cinéma de Hong Kong continue de s'éteindre à petit feu. Techniquement, son passage au pays de l'Oncle Sam ne lui a pas fait perdre la main, les combats sont magistralement filmés tandis que la caméra, fluide et constamment en mouvement, capte cette ambiance sombre et la façon dont les personnages, comme le spectateur, vont être perdus au milieu de tout cela.
On notera aussi une voix-off utilisée à bon escient, à l'image du cynisme sur les citations bibliques et son utilisation de l'espace toujours parfaite. Il y a dans Time and Tide une osmose entre son ambiance et ses plans, toujours à la limite de l'expérimentation et capable d'offrir de véritables explosions visuelles, comme ce climax inoubliable. L'oeuvre est régulièrement sous tension et immersive, le montage est soigné et sa direction d'acteur parfaite, tant Nicholas Tse et Wu Bai sont impeccables, tout comme l'ensemble des comédiens d'ailleurs.
Pour son retour sur ses terres natales, Tsui Hark propose avec Time and Tide un oeuvre nous emmenant tout droit dans un chaos intense et diaboliquement maîtrisé, où l'on prend son pied sans en sortir indemne.