‘The innocents’ n’est pas un film social planqué sous une peau de film fantastique. S’il était quelque chose, ce serait d’ailleurs plutôt l’inverse : sous des marqueurs qui pourraient donner l’impression qu’il a des choses à raconter sur une certaine réalité sociologique scandinave, il s’agit d’une véritable production de genre, un petit bijou en plus, qui délaisse les slogans simplistes pour embrasser des considérations plus universelles. Souffrant (ou bénéficiant, c’est selon) de quelques spécificités typiquement nordiques - rythme très lent, personnages peu diserts,... - il peut tout d’abord compter sur une brillante unité de lieu, celle d’une cité HLM suffisamment ensoleillée et verdoyante pour faire oublier sa nature de clapier humain, mais paradoxalement désertée en raison de la période estivale : un îlot hors du monde, à la géographie à la fois claire et labyrinthique, plus rassurant que la vision que pourraient en donner les médias mais que Eskil Vogt parvient à rendre moins rassurant que sa réalité objective. Deuxième point qui donne envie de saluer les choix du réalisateur : la notion de “diversité”, si fréquemment galvaudée, est ici exactement ce qu’elle devrait toujours être : ni une décision due aux impératifs du script, ni une piteuse tentative de faire acte de tolérance à peu de frais, ni un prétexte à un usage inutilement positif ou inutilement négatif des clichés sociaux et culturels : ces enfants “divers” sont juste ce qu’ils sont, leurs caractéristiques sociales et culturelles sont normalisées dès les premières minutes, sans devoir passer par la moindre explication, et le film neutralise instantanément toute volonté de les instrumentaliser de façon politiquement correcte ou politiquement incorrecte : ça n’a peut-être l’air de rien mais esquiver simultanément ces trois écueils est pratiquement chose impossible dans une fiction romanesque. Ceci étant dit, ‘The innocents’ brille aussi par d’autres qualités plus directement liées à sa nature de production de genre : malgré le fait qu’on ait affaire à des enfants qui découvrent qu’ils possèdent des pouvoirs spéciaux, le film n’a strictement aucun rapport avec quelque chose comme ‘les nouveaux mutants’ de chez Marvel. Le fait que les adultes soient la plupart du temps hors-champ donne l’illusion de pouvoir observer à la dérobée l’univers enfantin qui se déploie loin de leur regard, un monde absurde, qui carbure à l’arbitraire et à l'irrationnel, parfaitement prêt à avaliser l’existence de pouvoirs télékinésiques sans que cela devienne un problème…mais c’est aussi un monde dont le conflit et la cruauté gratuite ne sont pas absents. Ne cherchant jamais l’effet de manche facile mais jouant sur l’appréhension du spectateur vis-à-vis de ce qu’il sait devoir arriver et qui sort de ses références morales, ‘‘The innocent’ traite ainsi, avec un brio qui n’a rien à envier aux productions plus “dignes”, de l’apprentissage instinctif de la morale et du bien commun, chez des êtres pas encore tout à fait sortis de l’état sauvage, et qui ont les moyens de se soustraire aux règles communes et de causer beaucoup de dégâts autour d’eux.