Très souvent indissociable de Joachim Trier (Julie (en 12 chapitres), Thelma, Oslo, 31 août), le scénariste Eskil Vogt semble mieux se tenir derrière la caméra, depuis son « Blind ». De Cannes à Gérardmer, sa dernière œuvre fascine autant qu’il glace le sang. C’est un rendez-vous au détour d’un mélange de genres que le cinéaste norvégien nous propose, où le microcosme de la cour de récréation cohabite subtilement avec celle des adultes. Mais ne nous y trompons pas, ce seront bien les enfants qui seront au commandement et c’est peu dire. Ces âmes « innocentes » n’est qu’une enveloppe factice en réalité, rapprochant cette observation aux super-héros des studios Hollywoodiens, mais en ne choisissant pas la voie pratique. Les costumes moulants et autres abus d’effets spéciaux superposés au placard, vive les vacances d’été.
Alors qu’une famille déménage dans un quartier populaire pour vraisemblablement avoir plus de contrôle sur le quotidien des enfants, nous découvrons la cadette, Ida (Rakel Lenora Fløttum), mortifère jusque dans un élan de violence qu’elle ne contrôle pas. Mais au-delà de son comportement naïf et sans recul sur la souffrance qu’elle pourrait générer, sa sœur ainée se tient là, toujours proche d’elle, mais qui sonne comme le fardeau de toute sa tragédie. Anna (Alva Brynsmo Ramstad) est autiste et manque de lui voler la vedette auprès d’éventuels nouveaux amis, dans un lieu qu’elle découvre finalement avec hostilité. La peur des grands blocs de HLM et les plans qui changent les repères d’espaces alimentent une tension imprévisible, qui peut virer à de la violence crue comme psychologique à tout moment. On pense sans doute inconsciemment au « Chronicle » de Josh Trank dans la construction, mais la subtilité sera présente pour bien s’élever au-dessus de cette œuvre adolescente.
Nous nous trouvons à l’aube de ce segment de vie, où les émotions implosent au cœur des relations familiales ou de groupe. La découverte de pouvoirs télékinésiques et télépathiques nous renverraient presque aux mutants des X-Men. Et ce film partage bien son caractère d’étude sociale à travers le tourment diabolique, d’enfants qui testent leurs limites et qui réagissent à l’instinct. La force du récit vient ainsi de ces jeunes interprètes, formidables et qui arrivent à cultiver une écoute soutenue pour Aisha (Mina Yasmin Bremseth Asheim) et de la colère pour Ben (Sam Ashraf). Tout cela découle bien sur de la distance qui les sépare des parents, absents ou effondrés sous la tâche et la pression de leur monde à eux. Pourtant, ces jeunes en font partie et sont conscients, c’est sans doute une première approche de cette relecture horrifique, car tout se passe dans une réalité froide et similaire aux enjeux du quotidien.
La mise en scène joue sur ces angles morts, dans l’ombre des ténèbres et sous la lumière d’une journée estivale scandinave. Vogt tient son pari sensoriel, peut-être un peu trop juste dans son dernier film. Mais avec « The Innocents » (De uskyldige), il laisse à peine planer le doute sur le malaise et la terreur, qu’il emploie avec autant de force qu’une pichenette. Ce qui compte dans ces jeux d’enfants, c’est cette part de liberté qu’on leur laisse, qu’ils soient aptes ou non à confronter leur conflit par eux-mêmes. Le réalisateur signe ainsi un récit teinté d’une sororité qui gagne à se réconcilier avec ces forces qui les surclasses, leurs pouvoirs bien sûr, mais également tout ce qu’il y a de plus inéluctable, comme des maladies et des peurs, à l’instant où ils commenceront enfin à sortir de ce cercle de violence.