Dès l'origine, d'Eskil Vogt a imaginé son film partagé entre deux univers. L'extérieur était réservé aux enfants : la découverte de leur environnement, de leurs semblables et de leurs pouvoirs. L'intérieur, c'était le royaume des parents, un terrain régi par des règles, miné par la tension et imperméable à la magie. Le truc consistait à regarder les deux bulles rentrer en contact puis d'en mesurer les conséquences sur chacune d'entre elles. Au centre de la conflagration, un seul et même sujet : l'enfance.
Comme souvent avec les sujets rebattus, la différence se jouera à la manière et rien d'autre. C'est elle qui élève The Innocents bien au delà d'un Brightburn par exemple. La pureté est probablement le mot qui sied le mieux à l'approche de Vogt. Hors de question de répéter les prédécesseurs ou d'en reprendre les tics devenus formules. Oust les dialogues superflus ou explicatifs, le meilleur moyen de raconter passe par l'imprégnation. L'âge innocent est passionnant car sans filtre. Les évènements, émotions ou apprentissages sont vécues à une puissance décuplée par rapport à la vision biaisée des adultes. Eux - et malgré leur bonne volonté - sont en décalage constant en raison d'un mode de communication dont ils sont maintenant étrangers. Le spectateur lui est mené par le regard et les affects de la petite bande. La mise en scène nous place simultanément du côté de l'un, de l'autre, de la douce voisine ou de la sœur autiste. Les questions de bien, de mal, d'amitié, de devoir ou de responsabilité, on les décrypte derrière les silences, sur les visages, voire sur le choix des couleurs, mais certainement pas au détour d'un phrase maladroite. C'est rafraichissant, touchant, juste. Et terrifiant.
Une fois que l'identification est acquise - merci infiniment à cette troupe d'enfants-acteurs phénoménaux - intervient la bascule vers un conte grave, glorieux mais terriblement beau. The Innocents n'est pas à proprement parler un film d'horreur. Pourtant, il y a fort à parier qu'il va épouvanter les parents, plus encore que le témoin lambda. Loin d'être cantonnés aux rôles clichés d'adversaires, pères et mères sont pourtant utilisés à bon escient pour renvoyer certaines peurs primaires (enfantines) à la face du public. Dans les moments les plus angoissants comme les résolutions, Vogt rappelle que nos héros sont d'abord et surtout des bambins, des êtres terrorisés par l'obscurité, l'isolement ou la perte. Ça peut sonner comme une évidence mais arrivé à un certain point, on se met naturellement à schématiser. Or, nous avons affaire à une catégorie qui échappe justement à la classification, ne serait-ce que parce la notion de conscience est loin d'être gravée dans leurs chairs. Une position délicate, très inconfortable même, fondant la tension de certaines séquences sur la crainte de ce qui pourrait advenir mais aussi du dilemme dans lequel nous serions placés. Encore une fois, le sujet reste moteur d'une vraie expérience de cinéma pure (encore ce mot).
Choisir le paranormal comme allégorie a toujours été salvateur (parlez-en à Stephen King ou Chris Carter), puisqu'il est le prétexte idéal pour capter l'attention et recentrer les choses sur l'humain. Eskil Vogt l'a bien compris, ses travaux avec Joachim Trier suivent le même crédo dans un autre genre. Si ce n'était pas encore assez clair, The Innocents est une petite pépite. Comme quoi la thématique des super-pouvoirs en a encore sous le pied quand on sait l'exploiter avec cœur et intelligence.