L'Allemagne nazie soulève de nombreuses questions sans réponses et des faits assez ambigus, notamment via le comportement de divers personnages, souvent citoyens, comme le montrait déjà le puissant Jugement à Nuremberg de Stanley Kramer.
Si on s'intéresse à Kurt Gerstein, on se rendra compte ici aussi de l'ambiguïté du personnage, un ingénieur chrétien pratiquant, bon père de famille et antinazi... alors qu'il a été membre du parti dès 1933, suivront des entrées et/ou demandes pour être dans la SA, les SS, la Wehrmacht, la Luftwaffe ou encore Waffen-SS. Tout changera d'abord quand il prendra connaissance du programme contre les handicapés mentaux puis surtout le plan d'extermination des Juifs lorsqu'il assistera aux essais du gaz zyklon B. Il tentera, sans réponse, d'avertir les autorités religieuses et le pape Pie XII.
C'est cette personne qui intéresse Costa-Gavras, adaptant une pièce de théâtre pour mettre en avant son destin durant la guerre mais aussi, et surtout, la lâcheté, la faiblesse, la peur et l'attentisme du Vatican, ainsi que de quelques puissances Alliées et surtout les États-Unis, face à l'holocauste. De cette dénonciation, il va en tirer deux portraits humains, d'abord celui de Kurt, dont il s'intéresse uniquement à sa lutte interne et secrète contre le nazisme, puis celui d'un jeune jésuite qui va l'écouter, tenter d'avertir les autorités religieuses qui ont, entre autres, peur de favoriser le communisme s'il y avait dénonciation du nazisme. D'ailleurs, bénéficiant notamment d'une justesse d'écriture (tant dans les personnages que les dialogues), il montre aussi un certain antisémitisme ancré dans les mœurs, avec une connaissance du problème juif et surtout un refus de les accueillir. Bien évidemment, il met aussi en avant l'horreur du nazisme et de nombreux de ses représentants, profitant de leur situation et ne remettant pas en cause leurs actes.
Si Costa-Gavras commet quelques maladresses, se montrant peut-être un peu trop didactique, voire moralisateur, il n'en reste pas moins pertinent et surtout intéressant à plus d'un titre. Il prend le parti pris de surtout s'intéresser à l'humain, évoquant les camps, les massacres et l'horreur du nazisme sans jamais vraiment le montrer à l'écran, préférant user des non-dits, silences et évocations. C'est là d'ailleurs l'une des principales réussites du film, la façon dont Costa-Gavras évoque ce génocide et les horreurs du nazisme, avec intelligence à l'image de ces longs et glaçants voyages en train mais aussi ,et surtout, à travers le visage des protagonistes, de la terreur qui se lit dans les yeux et dans le même temps, ceux des participants actifs à ce massacre.
Il met peu à peu Kurt Gerstein face aux dangers de la trahison secrète qu'il provoque et sa façon dont il tente de retarder et empêcher le génocide, que ce soit à travers les discussions qu'il tente ou les sabotages lorsqu'il doit livrer et/ou vérifier le gaz zyklon B. Les propos sont bien suivi par une mise en scène efficace à défaut d'être vraiment puissante si ce n'est lors du dernier, émouvant et sombre, passage dans un camp, peut être légèrement trop académique, surtout venant du réalisateur de L'Aveu. Il trouve souvent le ton juste, sachant prendre son temps lorsqu'il le faut, notamment pour mieux mettre en avant l'horreur de la situation et l'envie, par les deux protagonistes, de tout faire pour empêcher cela.
La reconstitution est de qualité, assez sobre et immersive tandis qu'il gère bien la narration avec toujours le point de vue de Kurt Gerstein. Il trouve toujours le bon équilibre entre le fond du film, les propos, ce qu'il dénonce et les personnages, leurs évolutions plus on avance dans le récit et la façon dont ils vont réagir aux dangers. Enfin, Amen bénéficie d'une bande-originale adéquate et surtout d'excellents interprètes, que ce soit Ulrich Tukur dans le rôle de Kurt Gerstein, Mathieu Kassovitz, sobre à souhait, dans celui du jeune jésuite ou encore Ulrich Mühe et Michel Duchaussoy.
Si Amen n'est pas exempt de quelques maladresses, ça n'en reste pas moins un film intéressant à plus d'un titre où Costa-Gavras évoque la peur et la lâcheté de certaines autorités face aux crimes nazis à travers deux portraits humains pertinents voire même émouvants.