C’est un film superbe que cette « Légende du Roi Crabe »….et pourtant nous n’étions que neuf à l’unique séance du jour du Saint André des Arts , seule salle présentant le film dans Paris Intramuros…un film sorti le 23 février dernier, bénéficiant de bonnes critiques, dont une demie-page du Monde du 23 février signée Clarisse Fabre…Je n’y comprendrais rien à ce qui fait la carrière d’un film … c’est le premier long métrage d’un duo de cinéastes italo-américain, Alessio Rigo de Righi et Mattéo Zoppis qui se connaissent depuis le collège mais qui ont fait leurs premières expériences dans le cinéma séparément, et là c’est bien un film à quatre mains . La légende du Roi Crabe est une légende, et comme toute légende fait grande part à l’invraisemblable. De nos jours, dans une auberge italienne un groupe de vieux chasseurs , du village de Verjano en Tuscie , région historique de l'Italie, correspondant à l'ancien domaine étrusque, se restaure, chante des airs locaux, et l’un d’eux raconte l’histoire de Luciano, située à la fin du XIX iem ou au début du XX iem , le mouton noir du village car alcoolique invétéré bien que fils du docteur, amoureux d’Emma la fille du berger…révolté par l’arbitraire du potentat local qui a décidé de fermer un passage utilisé par les bergers, il met le feu au château, tuant par accident sa bien-aimée et est condamné à fuir, en Terre de Feu en Argentine, où déguisé en prêtre il part sur la piste d’un trésor caché par un capitaine d’un navire espagnol à la suite d’un naufrage …En soit l’histoire a peu d’importance mais est d’abord le prétexte à faire de la « Légende du Roi Crabe », un film de gueules. Celles des chasseurs, des villageois, de ce village de Vejano, attablés dans cette taverne traversée de lumière et d’ombres… invraisemblables trognes de fermiers cuites et recuites par le soleil , yeux engoncés dans un réseau de rides et puis ces aventuriers de la Terre de Feu, eux aussi hirsutes et patibulaires, à la recherche d’un hypothétique trésor, guidés par un crabe , crustacé magique sensé indiquer le route à suivre….C’est superbe, la lumière, les paysages de la campagne italienne à l’austérité de la Terre de Feu…Chapeau à Simone d’Arcangelo, le directeur de la photographie…
Entrecoupé de chants populaires, de récitatifs étranges proférés par d’authentiques paysans, joués par des non-professionnels issus de cette région, « La Légende du Roi Crabe » décline en deux chapitres, deux esthétiques radicalement différentes, pour deux rythmes d’action épousant la respiration de chaque lieu, de La Tuscie, où le temps semble s’être arrêté, à la tumultueuse Terre de Feu… on passe du conte moral et mystique au quasi western, en passant par le roman picaresque dont on retrouve le sens de la péripétie, de l’ironie et de l’absurde.
L’acteur principal, Gabriele Silli, les yeux mangés par une barbe envahissante, est plasticien ; c’est sa première apparition au cinéma et malgré son jeu fait de mutisme et de résistance, flegmatique et insoumis, il occupe l’espace, tout l’espace La seule présence féminine dans cet univers d’hommes taillés à la serpe est Emma incarnée par Maria Alexandra Lungu, découverte dans les Merveilles d’Alice Rohrwachter…au jeu sobre et lumineux…C’est dépaysant, extrêmement poétique…et j’ai beaucoup aimé…