Le réalisateur de « American Beauty » n'a pas perdu le sel qui fait son cinéma, pas même après avoir laissé une forte impression sur le dernier segment en date de James Bond (Skyfall et Spectre). Si on peut prendre « 1917 » pour une performance technique et une immersion singulière dans les tranchées des poilus, il faut reconnaître là le début d'un grand geste mélancolique pour le cinéaste, qui souhaite faire renaître l'esprit de ses proches par-delà sa caméra. Après avoir cristallisé les récits de son grand-père, ce dernier revient sur son Angleterre natale pour évoquer son enfance fait d'amour, de musique et de cinéma.
Quand Hilary nous fait découvrir sa routine, ainsi que les coulisses d'un temple lumineux, il ne nous faudra pas bien longtemps pour comprendre ce qu'il souhaite capter dans ces lieux. Le hall d'accueil, la moquette rouge, les rideaux cachant la grande toile ou les petites pépites dorées de maïs soufflés, tout est magnifié par la photographie de Roger Deakins. Dans le même mouvement, il est également possible d'apercevoir une détresse et une errance en cette cheffe d'équipe, qui veille à préserver l'expérience de la salle intacte. Lorsqu'elle n'avale pas ses pilules de lithium ou qu'elle ne se soumet pas aux abus charnels de son patron marié (Colin Firth), Hilary cherche à tromper sa solitude avec des tâches ménagères, sans oser franchir la porte qui la sépare d’un monde de rêves. À ce titre, on comprend la présence d'Olivia Colman, toujours impériale dans un registre bipolaire, renforçant au passage son jeu du non-dit et sa force de persuasion.
Hélas, pour cette première excursion en terre scénaristique, Sam Mendes en veut trop pour son héroïne, constituant le décalque de sa propre mère, mais également le contrechamp d'une époque Thatchérienne. La venue du jeune et curieux Stephen (Micheal Ward) semble confirmer cette tendance, en brouillant les pistes d'une guérison par le cinéma et s'enferme dans un mélodrame, où l'émotion s'égare à chaque étape d'une relation sentimentale impossible. La première heure ne laisse pourtant planer aucun doute sur la lettre d'amour du cinéaste pour les métiers invisibles des exploitants, qu'il filme, telle une sucrerie nostalgique pour ses personnages et tel un musée pour nous autres spectateurs, de ce côté-ci de l'écran. Au-delà de ce confort, c’est au tour d’Hilary de combattre sa dépression, aux côtés de Stephen, à qui on a également refusé de rebondir dans les études universitaires. Ces deux fantômes de la société vont pourtant trouver une autre lumière à leur portée, d’abord sur leur lieu de travail, puis sous un ciel enchanté pour enfin se rapprocher d’une plage qui leur appartient pleinement.
Cette escapade se révèle malgré tout éphémère, car les enjeux sociaux en bruit de fond les rattrapent, sans pour autant devenir un sujet d’étude. Elle se trouve donc là cette limite qui ampute le cinéaste britannique de la ferveur qu’avait pu générer « Les Noces Rebelles ». Difficile de ne pas y voir un certain lâcher-prise, à l’image de l’établissement balnéaire, qui a dû abandonner certaines ailes à la poussière, aux pigeons et au passé. La sincérité du cinéaste souffre ici d’une confusion, quant à ses nombreux axes scénaristiques, qui ont du mal à communiquer entre eux.
Avec « Empire of light », Sam Mendes évoque un cinéma en perdition, une relation qui n’avance pas et un portrait bancal de l’an 1980. Force est de constater que ce pas de côté est nécessaire pour un auteur, qui a autant besoin de se ressourcer dans la cabine du projectionniste que de redécouvrir ces petits plaisirs intimistes qui lui permettent d'exister à nouveau et de se redonner foi en lui-même, à l'instar d'Hilary, qui va découvrir les délices d'un rêve lumineux et coloré. La salle de cinéma apparaît donc autant comme un moyen qu'une issue providentielle, où la lumière du projecteur panse les plaies de l'esprit et vient également l'alimenter d’une tout autre dimension, avec amour et sans cynisme. Dommage que sa démarche prenne le risque de nous laisser indifférent.