Après Steven Spielberg et Damian Chazelle, c’est au tour de Sam Mendes de célébrer le cinéma mais en prenant un angle différent. Au lieu de célébrer ceux qui le font, il choisit de tourner sa caméra vers ceux qui le projette, le font vivre, et aussi vers ceux qui le regarde. Sam Mendes nous offre un film superbement réalisé, avec notamment un travail sur la lumière tout à fait remarquable. Que ce soit la lumière des néons, celle du jour, celle des réverbères, celle des projecteurs ou celle des feux d’artifices, le bien nommé « Empire of Light » bénéficie d’une photographie et d’un travail sur l’image qui saute aux yeux. Sur le papier on se dit que le sujet ne va pas être propice au dynamisme et au rythme, qu’il y a un risque qu’on s’ennuie à côtoyer ces deux personnages un peu perdus dans un monde trop hostile pour eux. Et bien pas du tout, on ne s’ennuie pas devant « Empire of Light », même si il y a des scènes un peu silencieuses, même si film est chiche côté humour et joie de vivre, il est suffisamment rythmé pour tenir la route deux heures durant. Il y a des scènes fortes, très fortes même et qui prennent aux tripes
(l’attaque des skinheads sur le cinéma, qui commence comme un gentil défilé de vespa et se termine en lynchage est aussi courte qu’elle est anxiogène),
et certaines scènes mettent bien en valeur la maladie mentale du personnage d’Hilary
(la scène du château de sable, celle de l’avant première, celle de l’appartement)
, car le personnage central du film, c’est elle, c’est Hilary. Et Hilary, c’est Olivia Colman. Elle incarne une Hilary
clairement bipolaire, qui arrête ses médicaments pensant que ça l’éteint (c’est le verbe qu’elle emploie) et qui se met à alterner épisodes de dépression terrible avec épisodes de frénésie exaltée, clairement une illustration du patient maniaco-dépressif même si le nom de la maladie n’est jamais prononcé.
Olivia Colman est merveilleuse, aussi bouleversante que transpirant la sincérité dans chacune de ses scènes, c’est vraiment une comédienne exceptionnelle de justesse et de sobriété, et ce rôle est l’occasion d’une « masterclass » en la matière. A ses côtés, le jeune Michael Ward ne démérite pas en jeune homme en proie à un racisme qui monte dans la société et le met en position de proie de plus en plus souvent. Il a la révolte sourde de ceux qui serrent les dents et font le dos rond jusqu’au jour où ce ne sera plus possible, et là ils en seront les premières victimes. Le rôle de Stephen est plus « simple » à composer que celui d’Hilary mais Michael Ward s’en sort très bien. Les seconds rôles sont un peu éclipsés par ce couple hors des sentiers battus et même Colin Firth, dans un rôle pourtant très antipathique, ne parvient pas trop à exister face à eux. Sur le scénario, on peut éventuellement trouver un petit peu à redire. Quand je lis ici où là que ce film est un hommage au cinéma, je trouve qu’on exagère un peu. Du cinéma, les personnages n’en voient pas beaucoup, ils en parlent mais ne saisissent pas l’occasion d’en profiter comme si c’était un loisir pour les autres, pas pour eux. Le film aurait pu insister un peu plus sur le côté « consolateur » du cinéma. Et puis, même si le scénario en parle beaucoup, le côté « couple mixte » avec ce que cela suppose de problème n’est pas beaucoup exposé. A part dans deux ou trois scènes (le bus), ce couple si différent ne semble pas perturber tellement Hilary et Michael. Ils ne voient pas le danger, ou plutôt feignent de ne pas le voir mais ce couple est voué à l’échec. A cause de la différence d’âge, de couleur de peau, à cause du contexte, de la maladie, l’histoire d’amour à laquelle on assiste n’a aucune chance dans la durée, on le sait instinctivement d’emblée. Du coup, c’est un peu tragique de voir Hilary tomber amoureuse, on devine que cela ne va pas lui apporter le bonheur mais un bonheur triste. Mais malgré tout cela, le film n’est pas plombant, pas larmoyant, il s’en dégage surtout une grande douceur et une vraie délicatesse. Cette histoire d’amour improbable, une histoire d’amour consolatrice est merveilleusement bien filmée par un Sam Mendes dont on sait depuis « Les Noces Rebelles » qu’il filme les non-dits mieux que personne.