La Japon trône depuis plusieurs années sur le taux de la population la plus âgée au monde. Cette problématique, Chie Hayakawa souhaite la développer, plus encore que dans le segment du même nom des courts-métrages qu’elle a présenté quatre ans plus tôt : « Jû-nen: Ten Years Japan ». Soucieuse de l’avenir son pays, elle articule son récit autour d’un visage familier et toujours lié à des traumatismes du présent pour convoquer ce qu’il y aurait de plus légal, afin de remédier à la vieillesse en hausse. Il s’agit de l’assistance médicalisée pour une fin de vie programmée. L’euthanasie, pour faire court. Une fois passé l’âge des 75 ans, on devient éligible à ce programme d’accompagnement, qui cherche pourtant à cacher les dégâts sous un tapis.
Cette fiction manœuvre avec une sensibilité et sincérité, à l’exception d’une scène d’ouverture un peu trop tape à l’œil, histoire de déterrer une anecdote locale, au lieu de rester cohérent avec la forme que prendra le reste de l’intrigue. Une certaine radicalité s’en dégage, mais la subtilité n’est pas toujours maîtrisée, faute d’une mise en scène qui explore l’inertie d’une population âgée à l’arrêt et à contre-courant de pensées lobbyistes et capitalistes. Le côté statique n’est pas à déplaire et justifie d’ailleurs une grande partie du discours, mais ce procédé possède ses limites dans la réaction émotionnelle qu’attend la cinéaste japonaise. Quelques maladresses inhérentes aux premiers films sont présentes et peuvent potentiellement alourdir le propos. On pensera notamment à la jeune génération, celle qui est active, mais qui cumule pourtant des enjeux humains tout aussi importants. Ces derniers manquent de consistance, contrairement au silence qui capitalise une bonne partie de l’intrigue, où la réflexion s’annonce plus lourde à encaisser, dans l’espoir de nous atteindre.
La mort est une fatalité qui lie les protagonistes, qu’ils soient âgés ou non. Mais ce pourcentage de la population, qui entrave l’économie pourrait bien devenir un business fleurissant, où les plus jeunes seront employés à pousser ces vieux vers la sortie définitive. C’est ainsi que le système est vu et capturé par la réalisatrice, qui a l’intelligence de soumettre la caricature à son positionnement politique. Les concernés n’ont plus les avantages ni le confort d’une vie où l’on se tue à la tâche. Michi (Chieko Baisho) en est bénéficiaire, mais contre une modeste somme d’argent, cela ne va pas lui racheter une famille. La solitude est déjà la première étape qui manifeste le destin tragique de ces personnes. Mais la légitimité de leur départ est vendue comme un sacrifice bénéfique, où il s’agirait d’une forme de transmission et d’encouragement pour la dernière génération ou les sans-abris, qui piétinent également au quotidien.
Ce projet fait souvent face à ses contradictions, mais ne dément jamais ses propos ou son efficacité, ce qui donne des sueurs froides, sachant qu’il y a peu d’intérêt à différencier la vie humaine d’une marchandise quelconque. Hayakawa continue d’interroger le spectateur, habile par son regard et son sens de la déduction, mais ce « Plan 75 » s’adresse pourtant à tout le monde dans le fond. Hiromu (Hayato Isomura) est un employé qui vend ce service, Yoko (Yumi Kawai) en est la guide, tandis que Maria (Stefanie Arianne) ramasse les miettes. Pourtant, ceux-ci révèlent des failles, car ils sont tout simplement humains, émotifs et loin d’être aussi superficiel qu’un programme qui ne cherche qu’à enterrer des vieillards et leur mémoire avec. Il reste un message d’espoir qu’on ne peut éviter et qui laissera quelques éclaircies dans un paysage bien sinistre, où l’humanité s’éteint à petit feu.