« Aux assises, les victimes font souvent figure d’accusés. »
Catherine Breillat, vieille routière du bouillonnement cinématographique expérimental du début des années ’70 qui vit la libération des mœurs s’inscrire dans des œuvres plus ou moins ouvertement pornographiques, n’a jamais été considérée comme féministe et ne s’est jamais revendiquée comme telle même si les femmes et leur quête d’identité à travers désirs, plaisirs et questionnement du sentiment amoureux « idéaliste », comme elle le dit elle-même, sont au coeur de sa vaste et éclectique filmographie. Dans les faits, il lui arrive souvent de prendre des histoires d’objectivation du corps comme il en existe tant dans un cinéma qui a tant fait pour la culture du viol, et d’inverser les rôles. C’est encore le sujet de L’Été Dernier, adapté du film danois Dronningen (May el-Toukhy, 2019), où une grande avocate cinquantenaire spécialisée dans les affaires d’abus sexuels, Anne/Léa Drucker, tombe amoureuse de son beau-fils de 17 ans, Théo/Samuel Kircher quand ce dernier vient vivre chez son père, le mari d’Anne, donc.
Si on y ajoute le parfum de scandale qui a émaillé la carrière de Catherine Breillat (qu’on pense à Romance, 1999), on peut s’attendre à un film tendu, malaisant parfois, assumé toujours. Au début, on peine pourtant à s’accrocher réellement à une histoire prévisible et lente, ponctuée de gros plans certes perturbants dans leur quasi immobilité et des effeuillages de Léa Drucker qui assume apparemment sans peine l’évolution physique de la maturité et l’alcoolisme de son personnage, mais globalement clichés. L’interprétation est assez fade et parfois inaudible, sans relief, sans âme. La bande son est assez chaotique, ce qui fait même penser qu’il n’y en a quand retentit le générique de fin et la voix de Léo Ferré. Les quelques brefs morceaux qui apparaissent ici et là sont en réalité signés Kim Gordon, ancienne membre des Sonic Youth.
On se dit alors que L’Été Dernier aurait pu être un film sulfureux, à la manière de certaines œuvres de Michel Deville dans les années ’80, voire un manifeste il y a 40 ans, mais qui s’égrène, dans sa première heure toujours, à la façon d’un film bourgeois, pas inintéressant, loin de là, mais sans réelle originalité, parfois moralisateur, voire digne, à certains moments, d’un scénario pseudo-incestueux comme c’est la mode sur les sites porno populaires.
L’oeuvre rebondit pourtant dans la dernière demi-heure pour délivrer son véritable message, autrement plus corrosif et malsain que l’aventure qui le précède et le génère. Et c’est précisément là que se décline tout le talent de l’auteure qui ausculte alors au scalpel les émotions de ses personnages sur leurs visages abîmés. Le trait bourgeois ne servait qu’à mieux le disséquer pour en révéler sa part de non-dits et d’hypocrisies, comme autant de valeurs surannées.