A l’époque de la Révolution iranienne, en 1979, l’un des moyens utilisés par les manifestants pour perturber l’ordre public était de mettre le feu aux cinémas (vus comme des produits de la vie occidentale et américaine). Shahram Mokri explique : "Le plus grand incendie a été celui du cinéma Rex où des centaines de personnes ont perdu la vie. Après la révolution, un procès a été ouvert pour juger le seul terroriste survivant. La captation de ce procès a été notre principale référence, la base du scénario. La dimension politique de l’incendie, du procès et des circonstances qui ont suivi a donné lieu à l’un des cas les plus complexes de l’histoire de la révolution."
Il y a deux théories opposées et répandues sur l’incendie du cinéma Rex. D’un côté on raconte que les incendiaires étaient des agents du Shah et de l’autre, qu’ils étaient des partisans de la révolution. Mais le film s’éloigne de cette polémique politique, et s’attache avant toute chose au cinéma. Shahram Mokri confie : "Je craignais qu’il y ait des problèmes pour diffuser le film en Iran en raison de la sensibilité du sujet. Mais nous venons d’obtenir l’autorisation de le projeter. Careless Crime est un film sur le cinéma, sur une image fixe du cinéma datant de 40 ans."
Le film The Deer (1974), l'un des plus importants en Iran, est beaucoup évoqué dans Careless Crime. Le réalisateur Masoud Kimiai et l’acteur Behrouz Vossoughi sont parmi les plus grandes célébrités du cinéma iranien. "Même sans avoir vraiment tourné depuis quarante ans, avec la diffusion de ses films interdite et vivant désormais aux Etats-Unis, Behrouz Vossoughi reste encore la plus grande star pour toutes les générations. Après la révolution, l’usage de vidéos et les films d’avant la révolution n’étaient pas autorisés. Et The Deer a été une exception, sans doute parce que la tragédie du cinéma Rex a joué un rôle important dans la victoire de la révolution iranienne", raconte Shahram Mokri.
Careless Crime se déroule sur trois couches. Dans la première, on suit l’histoire de quatre personnes qui veulent mettre le feu à un cinéma. Dans la deuxième, nous regardons le film sur l’écran du cinéma, montrant cet obus non explosé et le camp des jeunes femmes dans la montagne. Shahram Mokri explique : "Ces deux couches sont claires et semblent bien cadrées. Mais la troisième couche nous montre le public qui attend au cinéma pour voir le film. Quelle est la différence entre cette couche et la première ? Le simple fait qu’on n’est jamais tout à fait sûr de la période durant laquelle se déroule la première. Et c’est toute l’histoire du film, se situer quarante ans en arrière, avant la révolution en Iran, ou aujourd’hui à Téhéran."
Shahram Mokri et son équipe ont décidé de limiter toute l’histoire de Careless Crime au jour principal de l’événement et de ne raconter que ce jour-là (en évitant de traiter des différentes interprétations de l’histoire, notamment politiques). "Cela ajoutait à la difficulté d’écriture, car nous ne voulions pas mentionner les motifs ou les antécédents de la vie des personnages", précise le metteur en scène.
Shahram Mokri est très attaché aux plans-séquences. Careless Crime se situe ainsi dans la continuité de ses deux précédents films, Fish and Cat et Invasion : "Ils proposent chacun des choix de narration particuliers et des situations individuelles traitées sous des angles différents. Mais ici, l’histoire se déroule sur plusieurs périodes et lieux. Pour créer l’impression que nous sommes dans un autre temps et arriver progressivement au présent, j’ai utilisé un univers de thriller. L’histoire démarre dans le temps présent et à Téhéran, mais après la rencontre avec la marionnette, on repart dans le passé. Le temps est un des éléments les plus importants de mes films. C’est en général mon principal défi, définir le temps."