Peter von Kant est une adaptation libre de la pièce Les Larmes amères de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder. Cette pièce de théâtre avait déjà fait l'objet d'un long métrage mis en scène par Fassbinder lui-même, en 1971.
François Ozon, qui a toujours été hanté par l'oeuvre et la vision du monde propre au cinéaste allemand, explique : "Quant à son incroyable énergie créatrice, elle me fascine et il reste un exemple à suivre dans ma manière de travailler.
"Je pensais depuis longtemps à une adaptation des Larmes amères de Petra von Kant, mais c’était intimidant de sauter le pas, de m’attaquer à un film culte."
"Mon désir d’oser adapter un texte, devenu un classique du théâtre contemporain, a été conforté par le travail de metteurs en scène de théâtre actuels, comme Thomas Ostermeier, Krzysztof Warlykowski ou Christophe Honoré, qui ont mis en scène des textes classiques avec une grande liberté."
Ce n'est pas la première fois que François Ozon jette son dévolu sur une oeuvre de Rainer Werner Fassbinder, puisqu'il avait réalisé, en 2000, Gouttes d'eau sur pierre brûlante, une adaptation de la pièce Tropfen auf heiße Steine du dramaturge allemand.
Si François Ozon dirige pour la première fois Isabelle Adjani, le metteur en scène retrouve Denis Ménochet après Grâce à Dieu. Le célèbre acteur y jouait un homme ayant, dans son enfance, été victime d'attouchements par un prêtre. Ozon se rappelle :
"Denis est allé à fond dans ce personnage, qui se laisse aller à une mélancolie rageuse et à une forme d’exhibitionnisme quand il danse la première fois avec Karl, sans aucune gêne..."
François Ozon voulait filmer une version des Larmes amères de Petra von Kant dans laquelle il puisse s’identifier plus directement aux personnages. D’où le choix d’oublier le monde de la mode pour l'univers du cinéma et de ramener au genre masculin à trois protagonistes centraux. Le metteur en scène précise :
"Juliane Lorenz, la dernière compagne de Fassbinder, a confirmé mon intuition : dans Les Larmes amères de Petra von Kant, Fassbinder a transposé son histoire amoureuse et malheureuse avec l’un de ses acteurs fétiches, Günther Kaufmann, en une histoire d’amour lesbien entre une créatrice de mode et son modèle."
"Et le personnage de Karl (Marlène) serait inspiré de Peer Raben, compositeur de ses musiques de films, qui avait été aussi son assistant. A partir de là, la manière de revisiter ce texte était claire pour moi : transformer le personnage de Petra en homme, Peter von Kant, et en faire un réalisateur."
"Ce qui me permettait de parler de Fassbinder – et par effet de miroir, aussi de moi. Il s’agissait de trahir Fassbinder pour mieux le retrouver et me retrouver moi-même dans une histoire universelle de passion amoureuse, plus que jamais d’actualité, interrogeant les rapports de domination, d’emprise et de soumission dans la création, le rapport muse/pygmalion…"
La référence principale de François Ozon dans l’œuvre de Fassbinder a été son court métrage documentaire dans le film collectif L’Allemagne en automne, dans lequel "il se filme, sans fioriture, dans son appartement, avec sa mère, son amant, les obligeant à prendre parti sur la situation sociale allemande, le terrorisme…"
"Il mêle l’intime et le politique avec crudité, pour une mise à nu – au sens propre et figuré – à la fois pathétique, sincère et bouleversante."
Fassbinder a écrit ce texte pour le théâtre et l’a réalisé pour le cinéma alors qu’il n’avait que 25 ans. Il venait de découvrir les mélodrames hollywoodiens de Douglas Sirk et a filmé sa pièce en usant de tous les artifices théâtraux et maniérismes cinématographiques.
Pour son adaptation, François Ozon a simplifié des dialogues parfois très littéraires : "J’avais envie qu’il y ait une identification forte aux personnages, qu’on entre plus immédiatement dans l’histoire, avec une théâtralité plus française, presque de boulevard."
"Il y a aussi un côté boulevard chez Fassbinder, mais traité de manière brechtienne, avec un effet de distanciation."
"Je souhaitais mettre en avant la force émotionnelle du texte, ramener dans ma mise en scène une part d’humanité, d’émotion chez les personnages. Je voulais quitter le 'petit théâtre des marionnettes' de Fassbinder, pour incarner des personnages de chair et de sang."
Pour le personnage d'Amir, François Ozon a commencé par chercher un acteur entre 25 et 35 ans d’origine maghrébine, mais s'est heurté à énormément de refus. Le metteur en scène se remémore :
"Ils avaient peur de l’image que le rôle allait donner d’eux. Du coup, j’ai ouvert le casting à des comédiens plus jeunes, plus ouverts d’esprit. Et tant mieux car cela m’a permis de jouer sur un côté plus innocent et moins viril du personnage."
"J’ai découvert Khalil Gharbia dans un très beau court métrage suédois, The night train de Jerry Carlson, où il ne prononce pas un mot et exprime énormément d’émotions juste par ses regards et sa présence trouble. Il m’a plu pour son étincelle dans l’œil et sa capacité à incarner l’ambiguïté d’Amir."
"Il avait à la fois la naïveté des premières fois et l’insolence nécessaire pour la seconde partie. Surtout, il était à l’aise avec son corps et c‘était important face à Denis."
Pour son rôle, Isabelle Adjani s'est inspirée, avec la chef costumière Pascaline Chavanne, du look d’actrices stars des années 1970, comme Marlene Dietrich ou Elizabeth Taylor.
"Isabelle aime composer et je pense que ça l’amusait d’interpréter ce personnage de diva cocaïnée, d’avoir la dérision de jouer une actrice à la fois loin d’elle et forcément proche, dans l’imaginaire des spectateurs. Comme chez Peter, il y a des accents de vérité chez ce personnage, il fallait doser l’ironie et la fragilité", précise Ozon.
Pour ce projet, plus radical dans sa forme et son économie, François Ozon voulait ne rendre de comptes à personne (hormis à Fassbinder !). Le cinéaste a donc décidé de produire Peter von Kant. Il raconte :
"Ce qui était aussi une manière de suivre son exemple : rapidité d’exécution, temps de tournage limité, décor unique, équipe réduite, casting avec des acteurs familiers et économie de moyens."
"Produire ce film a représenté évidemment une pression nouvelle, mais tout le monde a joué le jeu. Aussi bien les acteurs, les techniciens que mes partenaires financiers habituels. Travailler ainsi en direct avec tous les interlocuteurs du film m’a permis de découvrir l’envers du décor."
Contrairement à Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, où François Ozon montrait le côté petit bourgeois kitsch des années 1970 allemandes, il a voulu, avec Peter von Kant, représenter la beauté et le glamour de ces années-là, aussi bien dans les décors que pour la lumière :
"Nous avons tourné dans un espace réel : les anciennes cuisines d’un orphelinat à Ivry sur Seine, que l’on a réaménagées avec ma cheffe décoratrice Katia Wyszkop. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur les contrastes et les ambiances avec le chef opérateur Manu Dacosse pour marquer les saisons."
"Chez Fassbinder, il y a plusieurs périodes. Une période dite 'sociale', où il a très peu de moyens et enchaine beaucoup de films 'pauvres' : Prenez garde à la sainte putain, Le marchand des quatre saisons, Tous les autres s’appellent Ali… Et Les Larmes amères de Petra von Kant, où on sent vraiment ce manque d’argent."
"Et puis il y a Lili Marleen, Lola, Le secret de Veronika Voss, Querelle, films où il est reconnu comme un cinéaste international, il a enfin plus de moyens et tend vers ce qu’il a toujours aimé, à savoir une forme de cinéma hollywoodien dans l’esprit de Douglas Sirk, se souvient le cinéaste."
François Ozon retrouve Hanna Schygulla qui avait joué dans Tout s'est bien passé. Par ailleurs, la comédienne a beaucoup tourné pour Rainer Werner Fassbinder, comme dans Les Larmes amères de Petra von Kant. Ozon confie :
"J'étais heureux de retrouver Hanna, qu’elle accepte de jouer la mère en 2021, après avoir joué Karine, l’objet de désir chez Fassbinder en 1972. Elle a très bien connu la mère de Fassbinder, et même si elle est restée discrète sur le sujet, c’était émouvant de pou- voir parler d’eux avec elle."
"Dans la pièce et le film de Fassbinder, la mère est un personnage assez vain et cruel. J’ai eu envie de la développer, notamment lors de la scène, où elle est seule, la nuit, avec son fils, qui aimerait tellement dormir."
"C’est Hanna qui m’a proposé la berceuse allemande qu’elle chante à Peter : Schlaf, kindlein, schlaf. C’était assez vertigineux de la filmer en train de chanter, elle qui a interprété Lili Marleen pour Fassbinder..."